La Louve de France
chargé
d’officielles fonctions auprès de la reine, ce qui eût constitué une trop
ouverte provocation envers le roi Édouard, Mortimer, en fait, dirigeait les
négociations. L’évêque de Norwich subissait son ascendant ; John de
Cromwell ne se privait pas de déclarer qu’on avait fait injustice au baron de
Wigmore, qu’un roi se montrait peu avisé qui s’aliénait un seigneur de si grand
mérite ; le comte de Kent s’était définitivement pris d’amitié pour
Mortimer et ne décidait rien sans son conseil.
Il était su et admis que Lord
Mortimer restait après souper chez la reine qui requérait, disait-elle,
« son conseil ». Et chaque nuit, sortant de l’appartement d’Isabelle,
Mortimer secouait par l’épaule Ogle, l’ancien barbier de la tour de Londres
promu à la fonction de valet de chambre, qui l’attendait en somnolant sur un
coffre. Ils enjambaient les serviteurs endormis sur le dallage des couloirs, et
qui ne soulevaient même plus de dessus leur visage le pan de leur manteau,
habitués qu’ils étaient à ces pas familiers.
Aspirant d’un poumon conquérant
l’air frais de l’aube, Mortimer rentrait en son logis de
Saint-Germain-des-Prés, accueilli par le blond, rose et attentif Alspaye, qu’il
croyait… naïfs amants !… seul confident de sa royale liaison.
La reine, à présent la chose était
sûre, ne rentrerait en Angleterre que lorsque lui-même y pourrait rentrer. Le
lien entre eux juré, de jour en jour, de nuit en nuit, se faisait plus étroit,
plus solide ; et la petite trace blanche sur la poitrine d’Isabelle, où il
posait les lèvres, comme rituellement, avant de la quitter, demeurait la trace
visible de l’échange de leurs volontés.
Une femme peut être reine, son amant
est toujours son maître. Isabelle d’Angleterre, capable de faire front, seule,
aux discordes conjugales, aux trahisons d’un roi, à la haine d’une cour,
frémissait longuement quand Mortimer posait la main sur son épaule, sentait son
cœur fondre lorsqu’il s’éloignait de sa chambre, et portait cierges aux églises
pour remercier Dieu de lui avoir donné un si merveilleux péché. Mortimer
absent, fût-ce pour une heure, elle l’installait en pensée devant elle, sur le
plus beau siège, et lui parlait tout bas. Chaque matin, à son réveil, avant
d’appeler ses femmes, elle se glissait dans le lit vers la place que son amant
avait abandonnée quelques moments auparavant. Une matrone lui avait enseigné
certains secrets bien utiles aux dames qui cherchent plaisir hors mariage. Et
l’on chuchotait dans les cercles de la cour, mais sans y voir offense car cela
semblait une juste réparation du sort, que la reine Isabelle était aux amours,
comme on eût dit qu’elle était aux champs, ou mieux encore, aux anges !
Les préliminaires du traité, qu’on
avait fait traîner en longueur, furent pratiquement signés le 31 mai entre
Isabelle et son frère, avec l’agrément réticent d’Édouard qui récupérait son
domaine aquitain, mais amputé de l’Agenais et du Bazadais, c’est-à-dire des
régions que l’armée française avait occupées l’année précédente, et moyennant,
en outre, un versement de soixante mille livres… Valois, là-dessus, s’était
montré inflexible. Il n’avait pas fallu moins que la médiation du pape pour
parvenir à un accord toujours soumis à l’expresse condition qu’Édouard
viendrait rendre l’hommage, ce qu’il répugnait visiblement à faire, non plus
maintenant pour de seuls motifs de prestige, mais pour des raisons de sécurité.
On convint alors d’un subterfuge qui semblait satisfaire tout le monde. Date
serait prise pour ce fameux hommage ; puis Édouard, en dernière minute,
feindrait d’être malade, ce qui serait d’ailleurs à peine un mensonge –
car à présent, lorsqu’il était question qu’il mît le pied en France, des
malaises anxieux l’étouffaient, il pâlissait, sentait fuir les battements de son
cœur et devait s’allonger haletant, pour une heure. Il remettrait alors à son
fils aîné, le jeune Édouard, les titres et les possessions de duc d’Aquitaine,
et l’enverrait à sa place prêter serment.
Chacun en cette combinaison se
jugeait gagnant. Édouard échappait à l’obligation d’un voyage redouté. Les
Despensers évitaient le risque de perdre emprise sur le roi. Isabelle allait
retrouver son fils préféré dont elle souffrait d’être séparée. Mortimer voyait
tout le
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