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La lumière des parfaits

La lumière des parfaits

Titel: La lumière des parfaits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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sans changer de forme. Pour le plus grand malheur de moult preux. Pour avoir obéi à des ordres insensés. Dans un désordre grandiose qui n’avait de sublime que le courage d’aucuns. Un courage aussi aveugle que celui du roi de Bohème, dix ans plus tôt.
     
    Ce fut toutefois à la compassion du roi Jean que nous dûmes d’avoir la vie sauve. Il s’était porté fort pour nous. Pour avoir défendu, à ses côtés, pied à pied, sa bannière et sa personne lorsque Gauthier de Brienne s’était effondré, la main crispée sur la hampe de l’oriflamme de Saint-Denis. Le symbole d’un royaume où les lys de France étaient, non point grignotés, mais dévorés, lacérés par les léopards d’Angleterre.
     
    Une rumeur courait que le peuple de France, écrasé par la levée de nouvelles taxes, affamé par les mauvaises récoltes et les pillages qu’opéraient des bandes de routiers en mal de solde sur tout le royaume, grognait et envisageait d’ouvrir les portes de Paris au roi Édouard.
    Un homme, un seul, saurait-il relever le pays ? Que d’espérance avons-nous fondé vers celui qui n’était encore qu’un chef de bandes. Un chevalier parmi les gueux ! Dans un duché divisé entre les partis de Charles de Blois et de Jean de Montfort : Bertrand du Guesclin.

    Fin avril-début mai, en cette année de malheur 1357, à l’aube, nous fîmes la connaissance, pour la première fois, de Richard Pritchard, notre chef geôlier. Un sergent royal, maître des prisons de la Tour blanche.
     
    Grand, maigre, aux yeux de corbeau enfoncés dans leurs orbites, une bouche aux lèvres épaisses et goulues, vêtu d’une longue houppelande de caslin aux armes de France et d’Angleterre, aux pieds bottés de cuir roide, il fit déloquer le verrou de notre cachot, et brandit aussitôt un linge sous son nez.
    L’un d’entre nous venait de renverser le seau dans lequel il avait épanché ses coliques en y posant ses nasches quelques instants plus tôt. Nous nous redressâmes. Les plus affaiblis s’adossèrent au rocher, les autres, parmi les plus résistants, se levèrent, les yeux hagards. Nous redoutâmes tous une fin proche.
    Tout en manipulant la lourde chaîne qui devait symboliser ses hautes fonctions, il parcourut, à la lumière d’une torchère que lui avait tendu l’un des gardes, nos visages blafards dont les paupières se fermaient à mesure qu’il nous dévisageait d’un regard hostile, un peu comme s’il souhaitait nous rappeler à notre condition de vaincus.
     
    Notre geôlier en chef nous demanda, de courtoise façon cependant, de lui décliner nos noms et nos armoiries. Il claqua des doigts. Un sergent de sa garde rapprochée déroula un parchemin. S’ensuivit un long, un insoutenable moment de silence.
    Puis il se tourna vers un des hommes d’armes et lui chuchota quelques mots à l’oreille. Icelui, dans un français hésitant, teinté d’accent gallois, épela nos noms. Le nom de tous. Sauf de l’un de nos compains : Gui de Salignac de la Mothe-Fénelon ne figurait pas sur sa liste.
     
    À travers un dédale de couloirs crasseux éclairés par des calels de suif puants et fumants, après avoir franchi plusieurs portes et grilles, nous parvînmes dans la haute cour de la forteresse où nous attendaient une trentaine d’archers qui nous encerclaient.
    Ils se tenaient aux ordres d’un sergent massier. Tous arboraient, sur leur surcot, les léopards d’Angleterre, des léopards écartelés aux lys de France. Ils nous examinèrent d’un œil parfaitement indifférent.
    Une vingtaine de bidets sellés furent mis à notre disposition. Sans que nous ne puissions savoir où l’on nous mènerait, Richard Pritchard n’ayant pas daigné répondre à notre question, comme s’il ne l’avait ni entendue ni comprise. Un traitement réservé aux vaincus par le vainqueur.
     
    Nous nous demandions tous si notre dernière heure était venue. Si l’on nous conduirait sur quelque place où la populace de Londres pourrait jouir de notre supplice, le chef sur le billot ou la corde d’un gibet de potence autour du col. Malgré la crasse qui creusait des sillons sur notre front et sur nos joues, d’aucuns parmi nous étaient aussi blancs que premières neiges en hiver. Rien n’était pire que d’ignorer le sort qui nous attendait.
     
    Les étrivières avaient été ôtées des arçons et sur l’invitation de notre geôlier en chef, nous dûmes sauter sur nos bidets. On nous lia les poings

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