La lumière des parfaits
savoir que le roi Jean vous prie à souper ce soir en l’hôtel de Savoy, où il réside par la grâce du roi Édouard et de son fils, le prince de Galles. »
Bien qu’ayant l’estomac dans les talons, ou peut-être pour cette raison, je répliquai à celui qui s’était présenté sous le nom de John Talbot, notaire royal, que je ne saurais me rendre à son aimable invitation hors la présence de mes écuyers !
« Voyons, Messire ! Il va de soi que vos écuyers, voyons, voyons (il plongea le nez qu’il avait épais et les yeux qu’il avait rapprochés, sur une pile de documents qui se répandaient sur sa table de travail) euh… messires de Salignac et de Rouffignac sont pareillement invités.
— Comment se porte le roi de France, Sir Talbot ?
— Lord Talbot, je vous prie ! rectifia-t-il, en se redressant tel un coq sur ses ergots.
« Le roi Jean se porte à merveille. Il giboye, festoye, tournoye, joute et caploye, se divertit, avec ses cousins, des plaisirs que lui offrent leurs royales personnes. Il écrit beaucoup, je peux en attester, à ses frères, à son fils, le dauphin Charles, à son frère de Navarre, à ses barons et hommes liges. Un grand seigneur que votre suzerain !
— My Lord, de grâce, épargnez-moi vos éloges sur les conditions de détention du roi Jean et sur sa capacité à gérer, de sa réclusion, les affaires du royaume de France. Soyez assez aimable pour me dire où et comment nous devons nous rendre, mes écuyers et moi, à cette pressante invitation.
« Nous n’avons pas eu l’heur d’en connaître les chemins du fond du cachot où l’on nous a emmurés depuis huit mois, et n’avons que nos bottes, ou ce qu’il en reste, pour marcher.
— Messire Brachet, sachez que le roi Jean est libre de tout mouvement ! Il peut se déplacer sur l’ensemble de notre vaste royaume. Le temps que soient négociés le montant de la modeste rançon qu’il devra bailler pour sa libération et qu’il renonce à sa suzeraineté sur les provinces qui reviennent de jure au roi Édouard…
— Lord Talbot, je vous ouï bien instruit des affaires de nos deux royaumes. Bien mieux que ne le suis personnellement. Mais pourriez-vous me préciser comment nous devons honorer la requête qui vous a été remise ? En nous y rendant à pied ? Combien de lieues, je vous prie ? »
Le notaire royal farfouilla derechef entre plusieurs parchemins étalés sur son écritoire avant de répondre à ma question :
« Vous serez escortés par le sergent royal massier vers l’hôtel de Savoy.
— Montés sur des bidets ?
— Que nenni, messire chevalier ! N’êtes-vous pas invités par le roi d’Angleterre ? Des chainses, des pourpoints, des surcots à vos armes, de magnifiques heuses en cuir de Cordoue vous attendent dans mon antichambre. Et des chevaux, dans la cour, bien sûr ! De splendides bêtes prises aux Français lors de la bataille de Poitiers, gloussa-t-il.
« Nous avons cependant un point de détail à régler. Oh, une s imple formalité à accomplir auparavant : veuillez en prendre connaissance, puis parapher et apposer votre petit sceau sur ce parchemin.
« En vérité, il ne s’agit point d’un acte notarié ! No, une simple déclaration sur l’honneur… un acte sous seing privé », susurra-t-il d’une voix neutre, en mettant sa main gantée à la bouche pour étouffer un léger bâillement de lassitude.
Le parchemin détaillait les termes et les modalités de la rançon que je devrais bailler pour ma liberté et celle de mes écuyers. Elles étaient dictées par celui qui avait revendiqué ma capture, lorsque j’avais été étourdi par une masse d’armes sur le sommet du crâne, ce sinistre dix-neuvième jour de septembre. Et sauvé des coutiliers par mes écuyers !
« Denis de Morbecque, chevalier de Saint-Omer, attaché à la maison d’Édouard de Woodstock, prince de Galles et comte de Chester, m’a prié de vous en faire lecture. »
Morbecque ! Par Saint-George ! Celui-là même qui avait reçu la reddition du roi Jean !
« Un noble caractère ! Mais il est intransigeant. Pensez, ses armoiries remontent au temps de Guillaume le Conquérant…
— Ah ! Guillaume, duc de Normandie. Oui, je vois ! Ne serait-ce pas celui qui a ravi la couronne d’Angleterre au roi saxon Harold lors de la bataille de Hastings ? » répliquai-je avec faconde. Le tabelion se rembrunit, ses joues se colorèrent, son nez se
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