La lumière des parfaits
pinça, mais il ne releva pas l’insolence.
Toutes les modalités du paiement de la rançon que le chevalier Denis de Morbecque exigeait avaient été scrupuleusement établies : délais, gages… Toutes, sauf une : le montant de la rançon. Bien convaincu que le notaire en prélèverait un décime, je compris alors qu’il convenait de ne pas me mettre my Lord à dos, et que, sans verser dans l’obséquiosité, je devais jouer finement, et non haut la main selon une habitude ancienne qui ne pouvait que se retourner contre moi ce jour d’hui.
Le notaire royal tenta neuf mil écus d’or… C’était une somme considérable ! Plus que la dot de ma tendre épouse. Lorsqu’il vit ma mine s’allonger, il jubila :
« Vous êtes riche messire Bertrand !
— Riche, je ne sais, mais de désillusion, oui ! »
J’argumentai sur les maigres bénéfices de notre domaine, sur le rendement sans cesse décroissant des cens, exprimés en termes fixes, que le rognage des monnaies amputait de jour en jour.
Il rétorqua qu’il m’était toujours possible de réunir la rançon en vendant mon château de Rouffillac à réméré.
Je répliquai que celui-ci ne m’appartenait pas. Que j’avais seulement en charge la gestion de notre domaine. En bon père de famille.
Il m’assura que l’amour que mon épouse me portait pourvoirait à mon infortune…
Depuis huit mois, le notaire royal n’avait point perdu son temps : il connaissait mieux que moi l’état de nos finances, la valeur de notre domaine et nos bénéfices. L’homme en était parfaitement instruit et, fin négociateur, me fit comprendre qu’un léger sacrifice m’éviterait de finir mes jours dans l’une des oubliettes de la Tour blanche.
À la parfin, après plus d’une heure d’âpres discussions dans ce cabinet aux lambris de chêne, aux tapis moelleux et aux tentures de haute lice qui isolaient sa cathèdre de la fraîcheur des murs, je fus contraint d’accepter les termes de sa dernière proposition, la mort dans l’âme.
Sur mon honneur de chevalier, je m’engageai à bailler la somme de cinq mil écus d’or pour prix de ma liberté et de celle de mes écuyers.
En me portant fort, à ma demande, d’arrondir la rançon à six mil écus, payables par tiers en trois ans, si mon nouveau compain de réclusion, l’écuyer de Salignac de la Mothe-Fénelon était également desféré et nous rejoignait en l’hôtel de Savoy. Le premier versement devait intervenir avant six mois.
J’apposai mon seing et mon petit sceau sur le parchemin, où étaient précisés le montant de la rançon et les délais qui n’étaient point négociables.
Pour sceller notre accord, je dus accepter, de mauvaise grâce, la coupe de vin d’hypocras que lord Talbot me tendit. Je trempai les lèvres dans ce breuvage fortement épicé. Relevé de miel, de gingembre, de cardamone et de graines de tournesol, dans mon état de jeûne, il me réchauffa les os et la panse, flatta mon palais, mais me monta vite à la tête.
Nous portâmes une santé, lui au roi Édouard, et moi au roi Jean.
« Ah, j’oubliais, messire Brachet de Born, Denis de Morbecque, en gage de reconnaissance pour vos apertises d’armes et pour avoir rondement mené cette négociation, m’a prié de vous remettre ceci, dit-il avec solennité en me tendant un coffret en bois d’ébène frappé d’un écusson à l’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem.
« Pour le cas où nous parviendrions à un accord raisonnable… »
Déjà fortement intrigué par l’origine du coffret, je l’ouvris avec moult précautions en déclenchant la mécanique à déclic. Avec stupéfaction, je découvris une fiole dans un écrin de velours, une fiole en tous points identique aux deux flacons que j’avais remis à monseigneur Élie de Salignac !
« Messire de Morbecque tient cet objet de l’un de ses aïeux qui a combattu, comme les vôtres, en Terre sainte, aux côtés des chevaliers hospitaliers. Il ne sait pas ce qu’elle contient, mais m’a dit être persuadé que vous en ferez un meilleur usage que lui. »
Incroyable ! C’était aussi incroyable qu’inattendu ! Le chevalier de Morbecque ignorait certainement le pouvoir de cette fiole…
Naturellement je priai lord Talbot d’en remercier chaleureusement le donateur.
« À présent, messire Brachet de Born, nous devons prendre congé. Le roi de France vous attend en sa résidence de Savoy. Je
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