La malediction de la galigai
jugement, il se montrait généreux et toujours de belle humeur 2 . Mais le jeune roi le haïssait plus que tout le monde et le maréchal devinait que, tôt ou tard, il serait chassé comme un valet, ou plus certainement arrêté, voire assassiné. Il avait donc décidé de rentrer en Italie. Le pape lui proposait l'usufruit du duché de Ferrare contre six cent mille écus. Léonora était d'accord pour partir. Nous n'étions que quelques proches à le savoir : Nardi, Ludovici, votre père Raphaël Corbinelli et moi.
Louis écoutait le plaidoyer du prieur avec intérêt. On lui avait toujours parlé de Concini comme du coyon infecté , du grand voleur, de l' estranger voleur et rapace. Or, pour son ancien serviteur, il s'agissait d'un bon maître qui servait au mieux le royaume. Une fois de plus, il observait qu'il y avait les réputations et les vérités. Concini avait perdu, donc il resterait dans l'Histoire comme Conchine , le bardachon fourbe aimant tellement la France qu'il voulait toute la posséder ! Qu'en aurait-il été de Mazarin si les frondeurs l'avaient emporté ?
â Monsieur Concini possédait plus de dix millions, beaucoup de bijoux, mais pas grand-chose en or, poursuivit Bernardo Gramucci. Or, pour fuir, il lui fallait de l'or, au moins quatre millions. Ludovici, son trésorier, vendait discrètement ses biens, mais avait prévenu qu'il n'en obtiendrait pas plus de deux millions. En liquidant les bijoux, il manquait encore un million. Le maréchal décida donc de le prendre à la Couronne. Pour lui, ce n'était en rien un forfait, puisqu'en partant il laisserait tant de richesses qu'elles compenseraient largement ce dont il se serait emparé. Nous préparâmes donc le vol du transport des tailles de Normandie.
â Vous voulez dire que mon père en était ? demanda Corbinelli.
â Il le savait, Jean, mais n'a pas participé à l'opération. Monseigneur, comme gouverneur de Normandie, avait ordonné au receveur général des tailles de Rouen de préparer le transport d'un million de livres. Seulement, nous étions incapables de les voler nous-mêmes. Il nous fallait un voleur.
â Petit-Jacques ! intervint Louis en hochant la tête.
â Vous savez ?
â Oui. Nous avons découvert ce morceau de l'histoire.
â Avec Nardi, nous connaissions la réputation de ce Petit-Jacques. Par un complice, arrêté et torturé, nous savions qu'il fréquentait un cabaret sur la Seine. Mais il était impossible de le rencontrer nous-mêmes. Or, j'appris qu'un commis des tailles, un certain Mondreville, détournait une partie de la recette par de fausses écritures. Nardi l'arrêta et le conduisit auprès de Son Excellence. Afin d'éviter les galères, Mondreville accepta de rencontrer Petit-Jacques et de le convaincre. Pour mon malheur et celui du maréchal, nous avions donc choisi les plus grandes canailles que la terre ait portées ! Qu'ils brûlent en enfer !
Il se signa avant de raconter le vol sur la Seine.
â Nous avions prévu qu'il n'y aurait pas de témoins. Petit-Jacques et ses acolytes méritaient amplement la mort ; malheureusement, le brigand était très méfiant et parvint à nous échapper.
â Mondreville aussi, affirma Gaston.
â Non ! Monseigneur avait décidé de se l'attacher, croyant sincèrement à sa fidélité. Il nous a donc accompagnés à Paris. Nous avons remis notre butin à madame la maréchale et à votre père, dit-il à l'attention de Corbinelli. Puis j'ai donné un cheval à Mondreville, avec sa part. Une erreur qui nous a coûté cher.
â Pourquoi Concini n'est-il pas parti à ce moment-là  ?
â Il ne se trouvait pas encore à Paris. Nous avons ensuite préparé la fuite de monseigneur, jusqu'à ce matin du 24 où une foule en furie a enfoncé la porte de ma maison, rue de Tournon. Je crus d'abord qu'il s'agissait d'une émeute, comme il y en avait déjà eu, et je parvins à fuir par les toits avec quelques centaines d'écus, mais j'appris vite que monseigneur avait été assassiné. Je tentais de retrouver Nardi, mais lui avait été arrêté. Je réussis cependant à échapper aux recherches et, le lendemain, de nouveau
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