La malediction de la galigai
un élégant chapeau noir et des cheveux blancs bouclés. C'était à l'évidence le chef. Il s'inclina légèrement quand l'homme grand et blond entra.
â Monseigneur, fit-il, d'une voix grinçante.
Le duc de Beaufort enleva son masque et, avisant un fauteuil, s'y affala.
â Je t'apporte une affaire, l' Ãchafaud , dit-il en joignant l'extrémité de ses doigts.
â C'est ce que j'ai cru comprendre, monseigneur, répondit prudemment celui demeuré masqué.
» Ce sont vos amis ? ajouta-t-il, désignant Bréval et Mondreville.
â Disons des associés, comme toi. Asseyez-vous, maintenant. Je vois que tu as fait monter du vin. J'ai soif !
â Habituellement, c'est monsieur le marquis de Fontrailles qui me contacte⦠remarqua l' Ãchafaud en faisant signe à l'un de ses compagnons de remplir les pots posés sur la table.
â Fontrailles a des ennuis et ne pouvait venir. Voici monsieur Mondreville. Il est lieutenant du prévôt de Rouenâ¦
à ces mots, les trois compagnons de l' Ãchafaud portèrent une main sur le pistolet glissé à leur ceinture.
â ⦠Monsieur Bréval est marchand et batelier. Tu lui obéiras comme à moi-même.
â à voir, monseigneur, fit l' Ãchafaud avec une ombre d'insolence⦠Je n'ai pas pour habitude d'obéir à des inconnus. Oubliez-vous que je suis le roi d'Argot ?
â Le roi d'Argot ! Le Grand Coesre  ! s'exclama Beaufort hilare, en prenant le pot qu'un des truands lui tendait, tandis que Mondreville et Bréval s'installaient sur une chaise. Mais en vérité tu n'es plus rien, l' Ãchafaud  ! Ton portrait est placardé dans la cour de Mai 4 , comme celui de n'importe quel gueux recherché. Traqué par le lieutenant civil et ses exempts, tu n'as pu te remplir les poches ces temps-ci que parce que Fontrailles et moi-même avons fait appel à toi et t'avons laissé libre de piller nos ennemis. Ne l'oublie pas !
*
Beaufort connaissait depuis des années le roi d'Argot, l'ayant rencontré quand, avec le marquis de Fontrailles et Montrésor, il fréquentait les tripots mal famés des Halles. L' Ãchafaud avait succédé à Carfour, le plus célèbre brigand de Paris, déjà au service des basses Åuvres du duc de Vendôme, le père de Beaufort 5 . à l'époque, l' Ãchafaud terrorisait Paris, s'attaquant la nuit aux maisons mal protégées et prenant plaisir à étriper femmes et enfants avant de les dépouiller. Quand le duc avait décidé d'assassiner le cardinal Mazarin pour prendre sa place de chef du Conseil royal, il avait naturellement fait appel à lui et à ses estropiats. Le quartier général du brigand se trouvait alors au cabaret des Deux-Anges , tout près de l'hôtel de Vendôme.
Mais l'assassinat de Mazarin avait échoué et l' Ãchafaud avait été tué 6 , ainsi que ses complices. Enfin, c'est ce qu'avait cru Beaufort, pendant ses cinq années d'enfermement au donjon de Vincennes, d'où Paul de Gondi l'avait tiré.
C'est Fontrailles et Montrésor qui avaient organisé l'évasion et eux qui avaient appris au duc que l' Ãchafaud n'était pas mort et était même devenu le Grand Coesre, le roi d'Argot 7 .
Durant les troubles de la Fronde, Fontrailles avait plusieurs fois recouru à ses services et à ceux de ses bandits pour terroriser les fidèles de Mazarin. Ils avaient pu ainsi piller, en toute impunité, plusieurs hôtels et maisons. Mais ce temps-là était terminé. L'ordre revenu, l' Ãchafaud était à nouveau recherché.
*
Le roi d'Argot se tut un instant, puis commença à dénouer son masque.
Apparut un visage jeune, malgré les cheveux blancs, mais d'épouvante. La peau était ravinée par la petite vérole, l'Åil gauche un trou sombre et quand le chef des truands tourna la tête vers Mondreville, celui-ci vit, avec horreur, qu'il n'avait plus de joue, juste une horrible balafre.
â Ma beauté, monseigneur, c'est à vous que je la dois.
Beaufort connaissait le visage de l' Ãchafaud marqué par la petite vérole. Par le placard dans la cour de Mai, il savait le truand borgne et balafré, mais ne s'attendait pas à cette vision atroce. Il parut mal à l'aise.
â Je n'y suis pour rien si
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