La malediction de la galigai
époque : Condé aimait plus à gagner les batailles que les cÅurs et s'attachait avec plaisir à fâcher les gens. Il aimait dire des choses si offensantes que personne ne pouvait les souffrir. Dans les visites qu'il rendait, il affichait un ennui dédaigneux. De quelque qualité qu'on fût, on patientait des temps infinis dans son antichambre, et fort souvent, il renvoyait ses visiteurs sans les recevoir. Quand on lui déplaisait, il poussait les gens à la dernière extrémité et paraissait incapable d'aucune reconnaissance envers les services qu'on lui avait rendus.
Louis Fronsac fut donc plutôt bien traité lorsque Condé entra dans le cabinet où il attendait depuis trois grosses heures. Le Prince arborait cependant le visage contrarié et hautain de ses mauvais jours.
â Je n'ai pas de temps à perdre avec vous, marquis, cracha-t-il. Je sais pourquoi vous êtes là  !
Devant l'air surpris de son visiteur, le long visage décharné du Prince montra un rictus satisfait. Il poursuivit alors avec colère :
â Mon beau-frère Longueville m'a raconté que Tilly a maltraité un prévôt de Rouen, que celui-ci l'a fait jeter en prison d'où vous l'avez tiré. Qu'ensuite vous êtes allés tous deux menacer ce prévôt. Sachez que je ne tolère pas ces insolences ! Ce n'est pas parce que vous vous croyez protégé par le gredin de Sicile que vous, petit tabellion, pouvez imposer votre loi aux princes du sang ! Et je ne veux même pas parler de vos insignifiants complots avec ce faquin de Bussy !
Agressé par ces accusations, Louis s'inclina en baissant les yeux, mais comme le Prince semblait lui laisser la parole, il répondit :
â Je resterai toujours votre obligé, monseigneur, et je serais un monstre d'ingratitude de l'oublier. En vous plaignant de moi, vous me rendez le plus malheureux des hommes, car mon attachement et mon respect envers vous sont sans réserve aucune. Me laisserez-vous me justifier et vous dire pourquoi je suis venu me jeter à vos genoux ?
â Niez-vous votre commerce avec le Sicilien et Bussy ? fit Condé, un peu rasséréné.
â Non, monseigneur. Mais si je sais tout ce que je vous dois, j'ai aussi des dettes envers Mgr Mazarin. Son Ãminence m'a parfois demandé mon concours, comme l'a fait monsieur le comte de Bussy. Je le leur ai accordé, ainsi que je l'ai toujours fait envers vous. Mais aujourd'hui, si je viens vous supplier de m'entendre, ce n'est pas pour vous demander un service. C'est au contraire afin de vous prouver mon attachement.
â Expliquez-vous ! lança le Prince avec morgue.
Louis raconta rapidement les mésaventures de Tilly qui soupçonnait Mondreville de vol et d'assassinat envers ses parents. Qu'ils avaient tous deux désormais la preuve que ce prévôt avait volé les tailles royales en 1617 pour le maréchal d'Ancre.
â Si ce conte ne venait pas de vous, je n'en croirai pas un mot ! laissa tomber Condé avec condescendance, mais en laissant Fronsac poursuivre, il laissait paraître son intérêt.
â Nous avons un témoin qui a participé au vol, monseigneur, et nous avons un mémoire accusatoire du père de Gaston. Mais ce n'est pas la raison de ma visite, monseigneur. Cette raison, la voici : Mondreville s'apprête à recommencer. Avec une bande de coquins, il prépare le vol de la recette des tailles de Normandie, transportée sur la Seine. Cela représenterait deux millions de livres.
â Et alors ? Allez donc voir Le Tellier, c'est lui que cela regarde !
â Certes, monseigneur. Mais en 1617, le vol avait été organisé par le maréchal d'Ancre qui connaissait tous les secrets du transfert, en particulier le jour, l'escorte et la forme du transport. Mondreville a besoin d'obtenir les mêmes informations.
Comme Condé fronçait les sourcils, Louis ajouta.
â En 1617, le maréchal d'Ancre était gouverneur de Normandie, monseigneur, et il disposait de ces informations.
â Que voulez-vous dire, Fronsac ? laissa tomber le Prince, soudain glacial.
â Excusez mon audace, monseigneur, mais je devais vous prévenir. Si les circonstances se révélaient être les mêmes, je serais mort de honte de ne pas l'avoir fait, et d'avoir laissé le nom de
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