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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Érik Emptaz
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documents concernant la navigation au large des côtes occidentales d’Afrique, même s’ils sont imprécis, stipulaient pourtant bien dans ces parages un large et traître banc de sable. À Rochefort, avant l’embarquement, Chaumareys s’était même ouvert de ses craintes au jeune Gisquel des Touches commandant La Loire. Le fringant gamin lui avait expliqué que le banc d’Arguin était très facile à éviter et lui avait assez courtoisement proposé de naviguer de conserve. En prenant la barre, son ami Richefort avait ricané, maintenant La Loire était loin derrière et La Méduse échouée sur le sable comme un cachalot crevé.
    Chaumareys est coincé. Il lui faut affronter la vindicte, se rendre sur le pont. D’autant que l’épouse du gouverneur est en train de reprendre conscience, il ne veut pas avoir à se justifier. Couvert de sauce et de honte, le vicomte incompétent se dirige vers la coursive comme on va au billot.
    « À la baille, noblaillon ! » Les cris venus du pont se rapprochent, leur violence, même atténuée par les cloisons, est palpable : «… Vous serviez à bord d’une périssoire ? » Un instant, le commandant craint que ce ne soit à lui que s’adressent ces quolibets hargneux, mais malgré son esprit embrumé, il comprend vite que c’est son protégé, Richefort, qui est l’objet de la vindicte de plusieurs officiers du bord. Tout ragaillardi du fait que la colère ne se cristallise pas sur sa personne mais sur ce passager auquel, dès la sortie du port ou presque, il a confié aveuglément la marche du bateau, Chaumareys se sent prêt à le défendre. Il va leur expliquer à ces morveux qui portent le bicorne en bataille, les bottes à la russe et se croient tous plus habiles les uns que les autres. Si ces foutriquets à galons s’en prennent à Richefort, c’est parce qu’il est comme lui un émigré, un « rentrant » réintégré dans la marine avec un plus haut grade et une bien meilleure solde qu’avant son exil. Richefort accompagne la Société philanthropique du Cap-Vert et a déjà croisé dans bien des mers : de Java à Saint-Louis, des Indes hollandaises à ces côtes d’Afrique qu’il déclare fort bien connaître. Et même s’il s’est un peu vanté, jusqu’à ce sacré banc d’Arguin, il a mené la frégate d’une barre assurée. Le gouverneur qui le traite à sa table ne s’en est jamais plaint… Chaumareys prépare mentalement ses arguments, mais son plaidoyer ne va pas plus loin. Sur le pont autrement plus ravagé que la salle à manger, la tension a monté d’un cran. Un officier à tête de gamin dont Chaumareys ignore le nom a dégainé son sabre et somme Richefort de choisir une arme… Chaumareys ne se sent ni d’humeur, ni de taille à interrompre le duel qui s’engage… « Vive le roi ! » Pris d’une soudaine inspiration, il pousse ce cri et à sa grande surprise, son intervention est efficace. Les regards se tournent vers lui. L’excité en uniforme renonce à dégainer et se met au garde-à-vous. Richefort reste coi. Les galons font encore leur effet en dépit du piètre état de celui qui les arbore. Son apparition et son « Vive le roi » incongru ont bloqué la poussée d’agressivité… L’étonnement laisse à nouveau place chez le vieil homme à une bouffée de suffisance. Si sa simple présence impose encore le respect, c’est que rien n’est perdu. Ni sa réputation, ni le bateau. Du coup le voilà presque volubile : « Messieurs, veillez à l’avenir à ne point laisser vos esprits s’échauffer, nous avons mieux à faire ! » Chaumareys ne sait pas trop en quoi ce mieux consiste, mais c’est sans importance, il en parle et se sent bien dans le rôle de juge de paix qu’il vient d’endosser. Malheureusement Richefort, lui aussi ragaillardi, se croit encore autorisé à donner son avis : « Nous sommes à marée basse, dès que le flux reviendra au plus haut nous retrouverons les quelques brasses qui nous manquent pour nous remettre à flot. » La réaction ne se fait pas attendre. L’officier au visage enfantin est tout prêt à en découdre de nouveau : « Quelle impudence, Monsieur ! Ce sont vos manœuvres insensées qui nous ont mis en péril et voilà maintenant que vous voulez nous indiquer la marche à suivre pour en sortir…» Richefort n’a pas le temps de rétorquer. Des avis, pas forcément plus autorisés, fusent de toutes parts. Les uns veulent alléger la frégate en

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