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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Érik Emptaz
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doute nous falloir au plus tôt faire évacuer le vaisseau… Qu’en pensez-vous, commandant ? » Tout le monde, y compris l’intéressé, semble convenir que la question est de pure forme. Chaumareys hoche du chef sans mot dire. Il a encore voix au chapitre et droit au meilleur fauteuil, mais depuis l’échouement, comme dit Corréard, c’est le gouverneur qui a pris le gouvernail !
    « L’île d’Arguin n’est qu’à quelques encablures de notre position. La troupe pourrait la gagner et aller y quérir des secours. De plus, sans les soldats, le frégate allégée serait sans doute mieux à même d’être remise à flot…» Le funeste Richefort, l’homme qui a planté le navire, vient de prendre la parole et fait montre d’une inaltérable impudence… D’un grand rire, d’autant plus forcé qu’il a les lèvres tuméfiées, un militaire l’interrompt, je crois que c’est un certain Poinsignon, commandant des bataillons d’Afrique. Il est rouge et déterminé : « Monsieur, nous avons déjà eu un aperçu éclatant de vos dons pour la navigation, nous ferez-vous la grâce de nous épargner vos talents de stratège ? » Avant que Richefort ne tente une repartie, Schmaltz, imperturbable, enchaîne : « Il nous faut vérifier les chaloupes, on me dit que les calfatages de certaines laissent à désirer…» On revient ensuite à l’idée d’alléger le bateau en jetant par-dessus bord ce qui pèse le plus lourd. Une voix que je ne saurais identifier suggère que « l’on se déleste de quelques canons », c’est aussitôt un concert de protestations, là encore, le gouverneur tranche : « En aucune manière il n’est envisageable de sacrifier l’artillerie de Sa Majesté. » Chaumareys, lui, sacrifie à un petit somme. Le commandant se redresse juste d’un mouvement de nuque, semble-t-il douloureux, en entendant Schmaltz reprendre la parole : « Bref, Messieurs. Il convient de se tenir prêt à l’évacuation dès à présent mais de n’en rien dire encore ni aux passagers ni à la troupe. Il sera toujours temps de les prévenir. Inutile de créer des mouvements d’affolement, c’est pourquoi je compte sur votre absolue discrétion. Je pense que vous êtes de cet avis, commandant ?
    — Pardon ? Oui bien sûr, absolument, de la discrétion dans l’évacuation… euh Poinsignon, je compte sur vous ! » Poinsignon, acquiesce d’un ton qui laisse percer l’agacement : « À ce propos je veux bien être muet comme la pierre sous laquelle repose ma défunte épouse, paix à son âme, mais l’évacuation, les hommes ne cessent d’en parler. La troupe craint d’être laissée-pour-compte et chez les passagers c’est aussi la principale question… Alors, la discrétion, permettez-moi de douter de son efficacité ! » Laissant le vicomte sortir de la brume, Schmaltz répond à sa place : « En ce cas, ainsi que plusieurs d’entre vous me l’ont suggéré, je pense que la construction d’un radeau calmerait les esprits. L’assemblage occupera les hommes et leur évitera de colporter de mauvaises rumeurs. Nous avons du bois, m’a-t-on dit, et la main-d’œuvre ne manque pas. Si ce radeau doit nous servir à acheminer la troupe, il faut prévoir une embarcation suffisante pour cent cinquante à deux cents personnes. Mais dans un premier temps il ne faudra parler que d’un radeau pour les bagages et le matériel que nous ne pourrons caser dans les chaloupes. Qu’on s’y mette sans tarder ! » Je suis tellement collé à ma lucarne qu’il me faut quelques secondes pour me rendre compte qu’on me tire par la culotte… « Monsieur, monsieur, que faites-vous là ? » C’est la jeune femme de chambre. Je descends du fauteuil en catastrophe et cherche à répliquer. Rien ne me vient à l’esprit. Alors sans autre forme de procès, je l’enserre et l’embrasse. Et la laisse à sa stupeur pour regagner en trois enjambées le chevet de ma patiente qui émerge des limbes en me demandant : « Quel est ce bruit ?
    — Ce n’est rien, Madame. Reposez-vous, il s’agit juste de votre femme de chambre qui me proposait un rafraîchissement. »
    La rafraîchissante qui a tout entendu quitte la pièce en me regardant d’un air rageur. L’épouse du gouverneur me remercie « de tout cœur ».

CHAPITRE X
    L’entrepont pue un mélange âcre de vieille pisse, de tabac noir, de bile, de merde et de poisson séché, mais le caporal Museux et ses compagnons

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