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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Érik Emptaz
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balançant par-dessus bord les canons et une bonne partie du fret « C’est le seul moyen ! ». D’autres parlent « de cabestan et d’ancre à chapelet », tandis qu’un militaire suggère d’envoyer la troupe à terre – « ce n’est pas si loin » – quérir un autre bateau pour nous haler… Chaumareys, quant à lui, n’a pas vraiment d’avis, mais il est requinqué. Dans cette nuée, il ne perçoit plus les mines accablées de ceux qui le regardent comme un vieil usurpateur confondu par son impéritie, disqualifié par son incompétence ; il se sent à nouveau dans la peau du héros de Quiberon qui maîtrise la situation. Après tout, Richefort a peut-être raison, la marée haute va sûrement se charger toute seule de rétablir la situation et, s’il le faut, on veillera à alléger le bateau… « Attendons le flux et nous verrons. » Mais un lieutenant fait retomber l’euphorie : « Monsieur, je crains que nous ne soyons au flux maximal…» Le capitaine le rabroue aussitôt : « Qu’en savez-vous, jeune homme ? Auriez-vous la prétention d’expliquer à votre capitaine la science des marées ? Mettez plutôt mon canot à la mer et faites sonder ! » Chaumareys respire fort et tente de se gonfler d’importance : « Qu’on réunisse l’état-major ! » Il est presque étonné qu’on lui obéisse encore. Les officiers s’activent et s’apprêtent au conseil, les marins s’exécutent. Les passagers continuent à s’en remettre à lui, comme cette femme au large chapeau mauve qui lui demande si l’on va évacuer le navire : « Mais non, Madame, je vous le répète : à marée haute, dans quelques heures, cette mésaventure ne sera plus qu’un souvenir de voyage. Vous n’avez rien à craindre, l’équipage s’emploie à nous sortir de là. Et puis la mer aussi va nous aider : quelques brasses d’eau en plus et nous serons tirés de ce mauvais pas ! »
    Le « seul maître à bord après Dieu » n’entend pas le matelot qui ajoute dans son dos : « Un marin qui fait confiance à la mer, c’est comme un pendu qui ferait confiance à la corde pour le tirer d’affaire…»

CHAPITRE IX
    « Quand tout le monde donne des ordres, c’est que personne ne commande ! » Cette formule en fer-blanc est d’un passager fonctionnaire que j’ai déjà croisé, et avec lequel j’ai deux ou trois fois bavardé. J’ai oublié son nom mais pas sa propension à abuser volontiers de la citation à tout faire et de la maxime bon marché. Toutefois, dans le tumulte et le brouhaha des avis de tous les « experts » sur la tentative infructueuse de remise à flot de notre malheureuse frégate, il me faut reconnaître que sa formule résume assez clairement notre fâcheuse situation.
    Cela n’empêche en rien Corréard de nous faire part de ses commentaires sur les vains efforts de l’équipage pour nous sortir du banc de sable : « La manœuvre était bien pensée, mais elle a été menée à la hâte et tout est à refaire. Il nous faut espérer que la mer soit aussi haute à nouveau. En attendant, la frégate a été calée sur deux mâts de perroquet qui servent de béquille à tribord. Mais tout à l’heure, quand je suis allé effectuer mes mesures, des marins m’ont avoué que ces deux leviers ne servent à rien. Le fond est mou et les mâts installés dans la précipitation bougent et s’enfoncent. Par chance, le navire est resté presque droit à la basse mer…» Pas le temps d’épiloguer sur l’utilité des mâts de perroquet sur les fonds mous, car j’ai à faire. Je dois m’enquérir de la santé de l’épouse du gouverneur Schmaltz. On m’a mandé hier à son chevet. Elle était à la table du commandant lors des chocs de l’échouement. La malheureuse a perdu connaissance plus d’une heure durant et se plaint depuis de céphalées. Je lui ai prescrit une décoction de mandragore pour la nuit. En plus de cette solanacée somnifère, j’ai fourni à ses femmes de chambre de l’arnica ainsi que des compresses à imbiber d’eau tiède et de vinaigre de Santa Maria Novella…
    Les cabines du gouverneur et de sa suite sont à la poupe. Dès la coursive, les cloisons sont en acajou. Là, pas de « cadre », ma patiente repose dans un vrai lit et dispose de deux véritables fenêtres qui n’ont rien à voir avec les bouches à feu qui servent d’aération dans notre entrepont. La femme de chambre qui m’introduit est une jeune négresse

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