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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Érik Emptaz
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vagues redoublent d’intensité, mais Schmaltz continue : « Au nom du roi, je vous en fais le serment, aucun d’entre vous, je dis bien aucun, ne sera abandonné sur le bateau… Que votre place soit sur les canots ou le solide radeau que nous avons construit, tout le monde va embarquer…» Au mot « radeau » des sifflets s’élèvent de la foule « C’est l’radeau pour l’enfer, ton affaire, t’as qu’à y monter si t’en es si fier…» lance une voix aussitôt acclamée. Mais Schmaltz, imperturbable, poursuit : « Ce radeau est très sûr, nous l’avons renforcé, il sera pris en remorque et le bataillon du Sénégal ainsi que les passagers qui vont y embarquer n’ont rien à craindre, un officier de marine le dirigera, le…
    — Menteur ! »
    À nouveau les huées. On me tape sur l’épaule, c’est Sophie, la femme de chambre de Madame Schmaltz : « Je suis sur le canot du gouverneur et vous ? » Sa joie iconoclaste réchauffe le petit matin poisseux.
    « Euh, moi… sur le radeau…» Son regard ne s’attriste pas longtemps. Elle me prend la main et, se frayant un chemin dans la cohue du pont, elle m’entraîne, silencieuse, vers la cabine de sa maîtresse. Avant que j’aie ouvert la bouche, elle me fait signe de me taire et me pousse dans un réduit sombre dont la porte s’ouvre sur la coursive. La pièce est noire et sent le linge frais, sa bouche est rose et son corps exhale un mélange de cannelle et de transpiration. Froissement de tissus, halètements… Ma langue s’attarde sur l’extrémité de ses seins, sa main s’est refermée sur moi. Elle m’attire à elle en se laissant tomber à même le sol. Les genoux relevés, elle m’enserre de ses cuisses et ses chevilles sur mon dos me poussent en elle au plus profond, lui arrachant un soupir rauque. L’urgence n’enlève rien à la douceur, mais le plaisir nous assaille violemment et sans prévenir. À travers les cloisons de bois nous parvient, étouffée, la clameur du pont. Nous restons un long moment imbriqués, à même le caillebotis de ce réduit, où l’odeur de goudron se mêle aux épaisses senteurs du rut.

CHAPITRE XIII
    5 juillet 1816. 5 heures du matin. Chaumareys est assis seul dans sa cabine dont le plancher, dans la partie la plus inclinée de la frégate, commence depuis l’arrêt des pompes à prendre l’eau. Il ne boit pas, il ne dort pas, il est plongé dans une introspection morose, mais non dénuée d’acuité. Il se demande si son crédit est aussi abîmé que la coque de La Méduse qu’il est censé commander. S’il lui reste un espoir de sauver la face, à défaut d’avoir pu sauver le bateau. Il pense avoir encore une petite chance de s’en tirer, sinon avec les honneurs, du moins sans excès d’indignité : se draper dans le rôle du commandant qui, après avoir quitté le bateau le dernier, met un point d’honneur à conduire les canots, les chaloupes et le radeau à bon port. Mais, dans l’ordre des priorités, Chaumareys aimerait auparavant pouvoir se sécher les pieds qui, dans ses bottes, commencent à se ratatiner.
    Le commandant Poinsignon a lui aussi les pieds dans l’eau. Il est même trempé jusqu’à la ceinture, ce qui refroidit non pas son ardeur, mais son vit. Si Poinsignon est ainsi mouillé, ce n’est pas parce que sa cabine est en partie immergée, c’est que, pour l’exemple, il est descendu sur le radeau, suivi de deux officiers de terre, afin de montrer à ces couards de la troupe qu’on y tient debout sans se noyer. Las, déséquilibré par la gîte, le commandant du bataillon d’Afrique a glissé du madrier sur lequel il s’était juché et s’est retrouvé toujours sur le radeau, mais le cul dans l’eau. Ce qui, malgré les circonstances dramatiques, n’a pas manqué de provoquer l’hilarité de ces bons à rien. L’effort de Poinsignon n’est pas vain pour autant puisque, un par un, en maugréant ou en faisant les fanfarons pour cacher leur appréhension, les soldats s’agrippent aux drisses et commencent à descendre prudemment sur ce satané radeau qui leur est destiné.
    La place est comptée : pas de gros paquetage ou de lourd barda. Tout ce qui peut ressembler à un vague promontoire comme les caisses et les tonneaux est pris d’assaut. Cela incite le reste de la troupe à se décider. Une trentaine de soudards sont déjà installés sur ces emplacements privilégiés. Les sous-officiers les encouragent, alternant menaces et

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