La malédiction des templiers

s’étaient forcément érodés avec le temps – quelque sept siècles ! Mais, non content de connaître comme sa poche la région et ses caractéristiques géographiques et géologiques uniques, l’homme n’ignorait rien de son histoire. Ce qui lui permit de resituer très vite les écrits de l’inquisiteur dans leur contexte historique particulier – les principales villes de l’époque, l’emplacement des grandes voies commerciales, les vallées qui étaient peuplées et celles qui ne l’étaient pas – et de retrouver sa piste.
    Ils progressaient en mode tout-terrain, à bord de la Jeep du Turc. La proposition de celui-ci d’utiliser son propre véhicule avait été reçue avec enthousiasme par Zahed, qui en avait profité pour se débarrasser de la Land Rover volée, donc nécessairement signalée à toutes les forces de police, surtout après l’hécatombe de la matinée. Il l’avait cachée dans un endroit discret derrière la station-service. Ce départ plus matinal que prévu leur permettrait de progresser à un bon rythme dans leur recherche. Ils avaient ainsi une longue journée devant eux, sans compter qu’Abdülkerim menait sa Cherokee à un train soutenu. Ils cahotèrent ainsi sur la piste de leur fantôme vieux de sept cents ans, traversant des séries de hauts plateaux entrecoupées d’éminences qu’ils gravissaient puis dévalaient, s’arrêtant à deux reprises pour s’orienter et vérifier que la direction adoptée était la bonne, avant de remonter dans la Jeep et de poursuivre leur route.
    Le soleil était presque au zénith dans le ciel d’un bleu que ne troublait aucun nuage quand Abdülkerim s’arrêta au pied d’une crête abrupte et coupa le contact. Après qu’ils eurent avalé quelques morceaux de pain sans levain, du lahmacun , arrosés d’eau minérale, il les précéda le long d’une piste étroite et sinueuse dans un paysage d’aiguilles rocheuses aux formes étranges qui débouchait au fond d’une vallée – l’ouverture de la gorge qui, de l’avis du spécialiste de Byzance, abritait sans doute les tombes des Templiers.
    Serpentant en suivant un axe nord-sud, le canyon s’élargissait et se resserrait tour à tour, bordé de chaque côté par une falaise haute de près de six cents mètres, symphonie de calcaire sculptée dans la terre par des rivières depuis longtemps asséchées. A cette période de l’année, le fond de la gorge était sec et poussiéreux, mais des touffes de verdure et de riches bosquets de saules et de peupliers aidaient à adoucir cette nudité quelque peu rébarbative.
    — Ces vallées ne sont pas peuplées comme peuvent l’être celles qui se trouvent plus au nord, expliqua Abdülkerim.
    Sa façon de parler était assez particulière : son anglais était excellent pour quelqu’un dont ce n’était pas la langue maternelle, son seul défaut étant d’user du présent à la place du passé, comme si ce dernier temps n’existait pas.
    — Elles sont trop au sud, trop près des cols qu’empruntent les pillards musulmans. On ne trouve pas beaucoup d’églises troglodytes ni de villes souterraines dans le coin, ce qui explique qu’il n’est guère fréquenté par les touristes. Ils sont tous concentrés autour de Göreme et de Zelve, qui sont, il est vrai, des sites beaucoup plus spectaculaires.
    — C’est ce qu’on nous a dit, confirma Zahed en admirant le paysage d’une beauté sauvage. Mais si nos Templiers s’efforçaient de rejoindre la côte sans se faire repérer par les pillards ghazis, il était logique qu’ils ne quittent pas ces gorges ?
    — Absolument. Certaines d’entre elles dépassent les quinze kilomètres de long, ce qui permet de rester longtemps à couvert. Mais ce sont aussi des endroits rêvés pour des embuscades.
    Ils se séparèrent, Zahed demeurant d’un côté de la gorge avec Tess, tandis qu’Abdülkerim suivait l’autre bord. Ils progressèrent ainsi lentement, inspectant avec soin chaque côté de la paroi rocheuse, à la recherche des repères auxquels s’était référé l’inquisiteur. Le soleil était maintenant plus brûlant que jamais, sa chaleur pesait lourdement sur les organismes et chaque pas supplémentaire devenait une épreuve. Ils longèrent tour à tour le côté ombragé de la gorge, du moins à chaque fois qu’un peu d’ombre se présentait, mais même dans ces conditions la touffeur écrasante ne leur laissait guère de répit.
    Au bout de deux heures de