La malédiction des templiers
abattus. Le soleil était sorti depuis quelque temps de l’ombre offerte par les parois de la gorge et les accablait de toute sa puissance.
Conrad le vit lever les yeux vers le ciel : trois vautours volaient en cercles au-dessus d’eux, attirés par les corps étendus sur le sol : ceux qui bougeaient encore et ceux qui ne remuaient plus. Puis il le vit abaisser son regard vers le cheval blessé, rouge de sang, se tourner vers son fils et lui adresser ce qui se voulait un sourire.
Conrad se représenta alors le sort qui l’attendait et se prit à regretter qu’une flèche ne l’ait pas abattu lui aussi.
La chaleur était étouffante, mais le soleil n’en était pas l’unique responsable.
Le cheval y était pour beaucoup.
Celui à l’intérieur duquel on l’avait cousu…
Après avoir achevé la jument d’Hector, les Turcs l’avaient éventrée puis étripée avant de placer Conrad à l’intérieur et de suturer le tout. Le chevalier franc était donc allongé sur le dos, sa tête ressortant par l’anus de l’animal. Ses quatre membres étaient également à l’air libre, des trous ayant été pratiqués dans les flancs du cheval, mais, à l’exception du moignon de son bras gauche, ils étaient solidement attachés à des pieux enfoncés dans la terre durcie par la chaleur.
Les Turcs l’avaient abandonné ainsi, crucifié sur le sol du canyon, avant de repartir au petit trot avec les chevaux et le chariot plein de son étrange chargement.
Il faisait insupportablement chaud là-dedans. Mais l’odeur était plus terrible encore. Et les insectes. La chair en putréfaction pourrissait au soleil. Kacem et ses hommes n’avaient pas encore disparu au fond de la gorge que des essaims de mouches, de guêpes et autres insectes volants bourdonnaient déjà autour de lui et des cadavres de ses frères, se repaissant de cette manne, se posant en vrombissant sur les blessures ouvertes dans ses lèvres et sur le reste de son visage.
Et ce n’était encore qu’un début.
Les choses sérieuses commenceraient vraiment avec les trois vautours qui survolaient le carnage en cercles concentriques. Ils se poseraient en ouvrant leurs larges ailes, enfonceraient leurs serres dans la carcasse du cheval et entreprendraient de la déchiqueter de leur bec acéré. Jusqu’au moment où, inévitablement, ils transperceraient la peau dure de la bête et commenceraient à dévorer le corps de Conrad, morceau après morceau, se délectant de sa chair avant de s’attaquer à ses organes internes.
La mort serait lente à venir.
Conrad avait entendu parler de cette forme de torture baptisée « scaphisme », un terme dérivé du grec skaphe signifiant « vaisseaux ». A l’origine, elle consistait à enfermer une victime à l’intérieur d’un petit bateau à rames ressemblant à un canoë. La victime en question avait le corps enduit de miel et se voyait contrainte d’absorber de grandes quantités de lait abondamment allongé de miel jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus retenir ses intestins, après quoi on poussait la barque sur une étendue d’eau stagnante, étang ou mare de quelque importance. Le résultat ne pouvait qu’attirer des nuées d’insectes. Dans d’autres variantes, on abandonnait le malheureux en plein soleil, dans le tronc d’un arbre creux ou à l’intérieur de la carcasse d’un animal. Conrad savait que les Turcs et les Perses appréciaient beaucoup ce genre de divertissement ; on lui avait raconté à quel point le spectacle était horrible lorsqu’on retrouvait les restes, mais jamais il n’avait eu l’occasion d’en être le témoin direct. Dans un sens, il avait de la chance que des charognards soient sur place. Dans les cas où seuls les insectes étaient présents pour dévorer le supplicié, la mort pouvait prendre des jours entiers. Conrad avait entendu parler d’un prêtre grec qui avait tenu dix-sept jours, la vermine qui grouillait dans son ventre se repaissant de sa chair gangrenée, avant que son cœur finisse par céder.
Quelle fin effroyable, se disait-il en regardant les vautours planer en cercles de plus en plus resserrés, conscient qu’ils cesseraient vite de voler.
Il en eut rapidement la confirmation.
Deux d’entre eux se posèrent l’un après l’autre, lourdement, sur le cadavre du cheval, le troisième s’étant décidé pour le corps du chevalier espagnol. Ils se mirent aussitôt à attaquer la chair exposée, avec frénésie, comme
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