La malédiction des templiers
s’ils n’avaient rien avalé depuis des semaines. Conrad essaya bien de se tortiller en tous sens afin de les déranger dans leur festin, mais ses gestes, limités par ses entraves, ne parurent pas gêner le moins du monde les charognards. L’ignorant superbement, ils continuèrent à dévorer la carcasse de la bête, déchiquetant, tirant, déglutissant, faisant voler des morceaux de viande dégoulinante dont ils aspergeaient le chevalier prisonnier. Jusqu’au moment où l’un d’eux, celui qui se trouvait le plus près de sa tête, se tourna vers lui, le fixa un moment de son œil rond et lui donna un coup de bec. Secouant violemment la tête, Conrad poussa un hurlement sauvage, mais le vautour savait ce qu’il faisait et il poursuivit ce qu’il avait entamé. Conrad essaya bien de rentrer la tête à l’intérieur de la carcasse, mais sans grand résultat : il avait les yeux rivés sur le bec grand ouvert du volatile qui s’apprêtait à poursuivre son repas quand quelque chose vint heurter la bête avec un bruit sourd, l’envoyant valser au loin. Cela s’était déroulé trop rapidement pour qu’il ait pu voir ce qui l’avait atteint, ses sens émoussés étant incapables d’appréhender ce qui venait de se passer.
Il entendit les ailes de l’oiseau frapper le sol à plusieurs reprises, à l’agonie, mais sans qu’il puisse voir la scène, le vautour maintenant caché par la carcasse du cheval. Le deuxième ne se laissa pas impressionner pour autant : il sautilla jusqu’au flanc de la bête pour prendre la place de son défunt congénère mais, là encore, quelque chose vint le heurter et le projeta par terre. Cette fois pourtant, la scène s’était déroulée juste à côté de Conrad, presque sous ses yeux, et il comprit.
Le corps du gros oiseau était percé d’une flèche.
Conrad tourna de nouveau sa tête en tous sens, son cœur battant à se rompre, ses sens retrouvant soudain toute leur acuité, essayant désespérément de voir qui pouvait bien être cette personne qui venait de lui sauver la vie – et c’est alors qu’il la vit, accourant vers lui, une arbalète dans ses mains fines.
Maysoun.
Une vague d’allégresse le submergea.
Il la suivit des yeux alors qu’elle se précipitait vers lui, la vit lâcher son arbalète et sortir un gros poignard au moment précis où il sentit l’air vibrer soudain, juste à côté de lui, avant que quelque chose de piquant ne frôle son visage. Le troisième vautour s’apprêtait à plonger le bec dans sa chair, quand il vit Maysoun sauter sur l’oiseau telle une panthère et lui trancher le cou.
Elle rejeta au loin le corps pantelant et se tourna vers le chevalier franc, le souffle court, le visage baigné de sueur, les yeux brillant d’une détermination farouche. Elle agita l’air de la main à plusieurs reprises pour chasser les nuées d’insectes, puis se pencha en avant et coupa les liens qui le maintenaient au sol avant de se mettre en devoir de le libérer de son effroyable cercueil.
Il la regarda découper les sutures. Le regard de la jeune fille rencontra le sien et ses yeux restèrent fixés sur lui, sans ciller, ses mains s’affairant de façon experte, le visage concentré. Déshydraté, affaibli, choqué, il avait du mal à croire qu’elle était vraiment là, qu’il était encore en vie, alors même qu’elle l’aidait à s’extirper de la carcasse du cheval et à se remettre debout.
Il demeura un bon moment sans bouger, le souffle court, dégoulinant de sang et de tripaille, la regardant avec un mélange d’admiration et de gêne.
— Comment… Que faites-vous là ?
Les lèvres de la jeune fille se relevèrent sur un sourire malicieux.
— Je vous sauve la vie.
Il secoua la tête, encore sous le choc.
— Mais encore ? demanda-t-il en souriant à son tour, ce qui lui fit mal aux lèvres, meurtries et desséchées. Comment êtes-vous arrivée ici ?
— Je vous ai suivis. Vous, mon frère, mon père. Je vous ai suivis depuis votre départ de Constantinople.
Il mettait beaucoup plus de temps qu’à l’ordinaire pour organiser ses pensées et les formuler.
— Pourquoi ?
— J’ai surpris leur conversation. Ils vous soupçonnaient d’être à la recherche de quelque chose d’important et avaient le sentiment que vous n’étiez pas prêt à en partager les bénéfices. Ils ont donc décidé de tout garder pour eux. Je voulais vous mettre en garde, mais je n’ai pas pu
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