La malédiction des templiers
j’ai découvert. Un livre ancien. Qui évoque un drapier, il y a fort longtemps, plusieurs siècles…
Elle s’interrompit et sortit précipitamment de sa poche un bout de papier froissé.
— Un Kazzaz , ou un Bezzaz , à moins que ce ne soit un Derzi , ou un Çukaci , poursuivit-elle, trébuchant sur les différentes façons de se référer à un drapier, fournies par leur chauffeur de taxi.
Elle n’était pas sûre de sa prononciation pour ce dernier mot, aussi montra-t-elle au voyagiste ce que le chauffeur lui avait griffonné – dans des caractères qu’elle était capable de lire, l’une des réformes capitales d’Atatürk ayant consisté à abandonner l’alphabet arabe au profit des caractères latins, devenus dès lors la norme sur tout le territoire turc.
— Un drapier qui était derviche ici, à Konya, poursuivit-elle. Sans doute un homme d’un certain âge, un ancien, ce genre de chose. Je sais que ça n’est pas évident de vous demander ça, mais… Vous ne connaîtriez pas quelqu’un qui pourrait me renseigner utilement, un expert de l’histoire des derviches de Konya ?
Levant se recula de quelques pas, son amabilité soudain plus circonspecte.
— Ecoutez, je ne suis pas ici en mission officielle, précisa Tess pour le rassurer. Il s’agit juste de recherches personnelles. J’essaie de comprendre quelque chose que j’ai lu dans un vieux livre sur lequel je suis tombée, c’est tout.
L’homme se caressa la bouche puis le menton de la main, celle-ci remontant ensuite sur sa joue et enfin sur l’arrière de son crâne chauve. Il dévisagea longuement Reilly, le jaugeant lui aussi du regard. Ce dernier garda le silence et se tint immobile, essayant de prendre un air aussi décontracté et rassurant que possible. Puis l’agent de voyage concentra de nouveau son attention sur Tess et se pencha vers elle avec une mine de conspirateur :
— Je peux vous emmener ce soir dans une dhikr privée, dit-il, faisant allusion à une cérémonie du souvenir soufie. C’est quelque chose de très confidentiel. Très informel. Un groupe d’amis qui se rassemblent pour… pour célébrer la vie.
Il la regarda fixement, pour s’assurer qu’elle avait bien compris l’essence de son message.
Elle hocha la tête.
— Et vous croyez que je pourrai y trouver quelqu’un susceptible de m’aider ?
Levant haussa les épaules, l’air de dire « peut-être ». Mais ce peut-être penchait très nettement vers l’affirmatif.
— Quand ? demanda alors la jeune femme avec un large sourire.
L’ancien ne se montra pas d’une grande aide.
La cérémonie de prière proprement dite avait été fascinante. Elle s’était déroulée le soir même dans le grand salon d’une vaste demeure ancienne. Les derviches, une douzaine d’hommes et de femmes, s’étaient perdus dans leurs transes et avaient tourné sans trêve sur eux-mêmes, les bras tendus, la main gauche ouverte paume en l’air pour recevoir la bénédiction du ciel, la droite pointée vers le bas pour la canaliser vers la terre, au son des notes hypnotiques et délicates d’une flûte de roseau – le ney tant aimé de Rumi, le souffle divin qui donne vie à toute chose – et d’un tambour. Assis sur un coussin, un vieil homme, leur maître, les avait accompagnés en psalmodiant le nom de Dieu. Cette partie de la cérémonie était celle qui était la plus strictement prohibée. La police n’investit cependant pas la maison et personne ne fut arrêté. Les temps changeaient, apparemment…
Mais l’ancien ne se montra pas d’une grande aide – plus exactement, celle-ci fut totalement inexistante. Son petit-fils se chargeant de la traduction, il expliqua à Tess qu’il ne connaissait pas de drapiers ou de fabricants de tissu qui auraient été des derviches de renom. Il n’en connaissait aucun non plus à l’heure actuelle. Tess et Reilly remercièrent leurs hôtes pour leur hospitalité et repartirent en quête de l’hôtel où Levant leur avait réservé une chambre.
— Je n’aurais jamais dû m’emballer comme ça, maugréa Tess, épuisée et déçue. Il y avait plein de loges à Konya, même à l’époque. Alors les chances de tomber sur la bonne… Plutôt minces, hein ? dit-elle avec un soupir. Ça risque de nous prendre un moment.
— On ne peut pas rester là plus longtemps, dit Reilly. Mes chefs me réclament à New York. On n’a même pas de quoi se changer, ni même une brosse à dents à
Weitere Kostenlose Bücher