La malédiction des templiers
venir vivre ici. Il n’avait pas de problème avec les idées de Rumi, pas plus qu’il n’en avait avec les chrétiens installés en Cappadoce.
— Ces Seldjoukides ne seraient pas de trop aujourd’hui, commenta Reilly.
Tess approuva de la tête, tout en songeant à des univers alternatifs.
— Tu sais, plus j’y pense, plus je vois de points communs entre les croyances des soufis et ce que, d’après moi, recherchaient les Templiers. Les uns et les autres voyaient la religion comme quelque chose devant rapprocher les hommes, et non comme une force de division.
— Ceux-là au moins n’ont pas péri sur le bûcher.
Tess eut un haussement d’épaules.
— Ils n’avaient pas un roi qui salivait à la pensée de l’or caché dans leurs coffres.
Ils franchirent un porche qui menait dans la grande salle où Celaleddin Rumi, le Mevlana – le Maître – en personne, était enterré. Très haute de plafond, celle-ci offrait un spectacle à couper le souffle, avec ses murs qui étaient autant de chefs-d’œuvre de calligraphies monumentales, sculptures recouvertes d’or fin, ses plafonds de merveilleux kaléidoscopes d’arabesques. Le tombeau du poète occupait le centre de la pièce. Enorme, imposant, il était recouvert d’un tissu brodé d’or et surmonté d’un gigantesque turban.
Restant légèrement en retrait, ils regardèrent les pèlerins en larmes frotter du front une marche en argent à la base du tombeau avant de le baiser. D’autres étaient plongés dans les poèmes du grand homme ou les lisaient à voix haute, rassemblés en petits groupes, leur visage baigné d’un bonheur ineffable. Un grand calme régnait, l’état d’esprit général étant celui d’une révérence bon enfant, plus propre aux admirateurs d’un grand poète qu’à de fervents fidèles effectuant un pèlerinage. C’était bien ce que craignait Tess : il n’y avait là rien qui pût lui donner l’espoir de retrouver une insaisissable famille de drapiers, si tant est que celle-ci existât. Elle en serait donc réduite à interroger des gens. Mais qui ?
Ils quittèrent le sanctuaire et déambulèrent le long d’un large boulevard qui menait au cœur de la vieille ville. Boutiques, cafés et restaurants regorgeaient de monde, gens du cru et touristes, et les enfants jouaient librement dans les nombreux espaces verts. La ville dégageait une impression de tranquillité qui leur avait beaucoup manqué ces derniers temps.
— On pourrait peut-être s’adresser à la mairie, dit Tess, qui avait considérablement ralenti le rythme. Ils ont certainement un département chargé des archives, ajouta-t-elle en s’arrêtant, les bras croisés, découragée.
— Peut-être ont-ils une rubrique « Drapiers » dans leur annuaire Pages jaunes, fit Reilly.
La jeune femme n’était pas d’humeur.
— Non, je suis sérieuse.
— Le hic, c’est qu’on a un léger problème de langue, lui rappela-t-il avec un sourire laissant entendre qu’il compatissait.
— Il semblerait que les seuls derviches du coin soient ceux qui font le spectacle pour les touristes. Qui sont donc en contact avec des étrangers. On devrait pouvoir trouver parmi eux quelqu’un capable de nous comprendre, et peut-être même le convaincre de nous présenter à un vrai soufi.
Reilly pointa du doigt l’autre côté du boulevard.
— Et si on allait leur demander ? proposa-t-il.
Tess se tourna. Un panonceau indiquait « I CONIUM T OURS » et, dessous, en plus petits caractères, « Agence de voyages ».
— Je peux vous procurer des billets pour une sema ce soir, leur dit avec un enthousiasme communicatif le propriétaire de l’agence, un quinquagénaire particulièrement affable dénommé Levant. C’est un spectacle formidable, vous allez adorer. Vous appréciez la poésie de Rumi, j’espère ?
— Enormément, répondit Tess avec un sourire un peu contraint. Mais vous parlez d’une vraie cérémonie de prière ou… d’un show pour touristes ?
L’homme eut l’air intrigué. Si ce n’est légèrement offusqué.
— Toute sema est une vraie cérémonie de prière. Les derviches qui vont tournoyer sous vos yeux prennent tout ce qu’il y a de plus au sérieux ce qu’ils font.
Tess lui adressa un sourire désarmant.
— Bien sûr, ce n’est pas ce que je voulais dire, fit-elle, cherchant les mots justes. C’est simplement que… Je suis archéologue, et j’essaie de décoder quelque chose que
Weitere Kostenlose Bücher