La malédiction des templiers
Tess.
Tout incapables qu’ils soient de venir en aide à la jeune femme, la vue du livre à l’évidence fort rare qu’elle leur montra suscita le vif intérêt du commerçant et de sa mère, comme cela avait été le cas avec plusieurs autres marchands. La vieille femme s’approcha en traînant les pieds et, d’une petite voix douce, demanda si elle pouvait voir le codex. Tess le lui tendit. Elle l’ouvrit précautionneusement, regarda la page de garde et en feuilleta deux autres.
— C’est très beau, fit-elle sans quitter le livre des yeux. Est-ce que c’est très vieux ?
— Environ deux mille ans, répondit Tess.
La vieille femme, surprise, ouvrit de grands yeux. Elle hocha lentement la tête, en silence, puis referma l’ouvrage et tapota de la main la couverture au cuir craquelé.
— Ça doit valoir beaucoup d’argent, non ?
La question laissa Tess sans voix.
— Je… je suppose, dit-elle au bout d’un moment. Je n’y avais jamais vraiment pensé.
Cette réponse sembla surprendre la vieille femme.
— Ce n’est pas ce que vous cherchez ? Vous ne souhaitez pas le vendre ?
— Non. Absolument pas.
— Mais alors, que voulez-vous en faire ?
— Je n’en sais trop rien, répondit Tess, réfléchissant tout haut. Cet évangile ainsi que d’autres qu’on pourrait également retrouver font partie de notre histoire. Il faudrait que l’on puisse les étudier, les traduire, les dater avec précision. Et puis faire connaître leur contenu aux gens qui ont envie d’en savoir plus sur ce qui s’est passé à l’époque en Terre sainte.
— Vous pourriez régler le problème en le vendant à un musée, insista la vieille femme, les yeux brillant maintenant d’une lueur espiègle.
— Sans difficulté, en effet, admit Tess en esquissant un sourire. Mais ce n’est pas mon objectif. Ça ne l’a jamais été. Depuis le début. Et ces livres… dit-elle en se rembrunissant. Beaucoup de gens ont souffert en essayant de les retrouver. Le moins que je puisse faire est de veiller à ce qu’ils n’aient pas enduré en vain toutes ces souffrances. Ces livres sont aussi leur héritage, au moins autant que celui des hommes d’aujourd’hui.
La vieille femme pencha la tête sur le côté avec un haussement d’épaules fataliste.
— Désolée de ne pas avoir pu vous être utile, dit-elle.
Tess lui fit un signe de tête et rangea l’antique ouvrage dans son sac à dos.
— Il n’y a pas de quoi. Et merci de nous avoir consacré un peu de votre temps.
Il ne leur restait plus, à Reilly et à elle, qu’à quitter poliment les lieux après que la conversation eut tourné un moment autour de la belle qualité de la production et des prix d’amis que l’on pouvait leur consentir.
Ils laissèrent donc trois générations de Kazzazoglu fermer boutique et ressortirent dans la nuit calme. L’hôtel n’était pas très loin, dix minutes à pied à peine. C’était un établissement plutôt simple, de taille moyenne. Moderne, de deux étages, fonctionnel et sans charme. Leur chambre, au dernier étage sur rue, leur offrait une salle de douche correcte et un lit propre, et c’était là tout le charme dont ils avaient besoin. Cette journée, la dernière d’une longue série, avait été interminable.
Ils s’embrassèrent et restèrent enlacés un moment dans le cocon de leur chambre, lumière éteinte, après quoi Reilly prit son téléphone et composa le numéro du portable d’Aparo. De son côté, Tess alla à la fenêtre et regarda au-dehors, perdue dans ses pensées. La ville s’était endormie et la rue était déserte. Un unique réverbère jouait les sentinelles à la gauche de l’hôtel, baignant le trottoir crevassé de sa lumière blafarde. Les seuls mouvements étaient dus à un trio de chats de gouttière, qui s’étaient glissés sous les voitures pour en ressortir avec des restes de viande dans la gueule.
Tess les suivit d’un œil absent, se disant que la dernière fois qu’elle avait vu des chats, c’était devant le Patriarcat, à Istanbul, peu après qu’on lui eut appris qu’ils étaient considérés comme annonciateurs de bonne fortune. Ce souvenir la fit frissonner. Son regard se porta sur le faîte des arbres et sur les toits alentour, et, l’espace d’un moment, elle s’imagina seule, parcourant la ville sans Reilly à ses côtés. Cette pensée ne contribua guère à la réconforter. L’Iranien rôdait quelque part, toujours en
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