La Marque du Temple
son salut, sa vie étant déterminée dès sa naissance. En outre, la réalité prouvait, selon eux, la présence constante du Bien et du Mal. Ils en déduisaient l’existence non pas d’un, mais de deux Dieux : l’un Bon, l’autre Mauvais.
Le Dieu Bon régnerait sur les cieux et donnerait le souffle de l’esprit et de l’âme. Le Dieu Mauvais régnerait sur la Terre, c’est-à-dire l’enfer, et sur les choses visibles telles que l’enveloppe charnelle des êtres humains. L’âme, de nature céleste et d’essence divine, celle du Dieu Bon, serait enfermée dans un corps de chair, création du Dieu Mauvais.
En conséquence, la doctrine des hérétiques contestait la lecture des Évangiles, la nature divine du Christ, qu’ils considéraient comme une simple émanation terrestre et diabolique du Mal. Elle rejetait la notion de péché, l’adoration de la Croix, les rites cultuels, la pratique des sacrements, baptême, communion, mariage, absolution, extrême-onction, etc.
Le nombre d’âmes qui habiteraient le corps terrestre des hommes et des femmes aurait été décidé par le Dieu Bon, une fois pour toutes lors de la Création du monde. Chaque âme pouvait s’incarner successivement dans neuf corps terrestres.
À la fin de la neuvième et dernière incarnation, l’âme montait au paradis céleste ou chutait irrémédiablement en enfer, selon le comportement de ceux qu’elle avait habités. L’univers englobait, selon la doctrine albigeoise, le Ciel et la Terre, le Bien et le Mal dans un mouvement perpétuel.
Alors que la religion catholique enseignait une catéchèse de la peur fondée sur l’idée que, faute de pardon, les âmes des chrétiens seraient précipitées dans les flammes de l’enfer éternel, les hérétiques albigeois affirmaient qu’après la mort, l’âme rejoindrait le monde céleste et lumineux du Dieu Bon, à la seule condition d’adhérer à la vraie Foi, la leur.
Cela n’était pas sans me rappeler l’étonnante croix occitane, entourée d’un cercle, qui nous était apparue sur l’un des murs souterrains de la crypte de la chapelle Saint-Jean. Elle était surmontée des lettres “ABRAXAS DABAR”. Je m’étais souvenu de la traduction que la princesse Échive de Lusignan m’en avait donnée autrefois.
En imaginant un parfait triangle isocèle qui formait sur ses trois côtés le mot ABRACADABRA. Après bien des tâtonnements, nous avions exercé une forte pression sur le point central des quatre triangles qui se touchaient en convergeant à l’intérieur de la croix.
Une mécanique secrète s’était déclenchée. Un pan du mur en forme de triangle avait pivoté et nous avait permis de pénétrer à l’intérieur de la chapelle. Le cercle ne représentait-il pas l’univers du Bien et du Mal, du Ciel et de la Terre ? Les triangles se touchaient par la pointe à la manière d’un blason armorié écartelé en sautoir.
Ne représentaient-ils pas le Ciel et le Dieu Bon, en haut, la Terre et le Dieu Mauvais, en bas ? L’action des forces du Bien et du Mal nous avait ouvert les portes de la vie, car nous ne donnions pas un denier de notre peau ce jour-là.
L’hérésie albigeoise constituait, à mes yeux, une menace bien plus grave que celle que les moines en leur école m’avaient enseignée à l’époque où j’étais leur élève : j’avais crû pendant longtemps que les hérétiques albigeois avaient été conduits sur le bûcher parce qu’ils “baisaient le cul d’un chat pour honorer Satan ” !
Tout cela n’était, bien sûr, que diablerie sans fondement qu’enseignaient les moines et les chanoines pour dégoûter les enfants que nous étions alors de l’hérésie.
Car en vérité l’hérésie s’était répandue dans tous les milieux de notre société : elle avait trouvé des adeptes chez les grands et les petits seigneurs, parmi les religieux, les bourgeois, les paysans, les marchands et aussi parmi les usuriers qui n’étaient point juifs.
Elle sapait les piliers, les fondements mêmes sur lesquels reposaient l’organisation de notre société féodale, mieux et plus sûrement même qu’un ingénieur fort savant en l’art de la poliorcétique n’aurait su le faire pour diriger le siège d’un château.
Elle prêchait la destruction des liens qui unissent un vavassal à un vassal, un vassal à son suzerain et la suppression de l’octroi de bénéfices qui en résulte par la force de nos us et de nos
Weitere Kostenlose Bücher