La Marque du Temple
bruit d’enfer. La colère du Très-Haut monte, enfle, gronde, colossale, puissante, violente et se déchaîne sur la terre.
Un premier éclair fend le ciel en deux. Puis deux, trois, quatre autres. Cent mil feux illuminent la campagne. Les pechs semblent avancer de façon hallucinante comme une gigantesque armée qui s’apprête à déferler au galop de charge.
Les combes se creusent dans l’obscurité. Un premier coup de tonnerre éclate, puis deux, trois, quatre autres. Puis se succèdent frénétiquement éclairs et coups de foudre. Le Bon Dieu approche. Les éclairs déchirent le ciel avec un bruit d’enfer. Les oreilles bourdonnent, un peu comme si on les avait plaquées sur le bronze du bourdon, à l’intérieur d’un clocher, au moment où le marteau frappe la cloche. On en reste abasourdi, sonné.
Ce soir-là, aux bourrasques de vent succéda un calme plat, inquiétant, menaçant. Quelques lourdes gouttes éparses tombèrent de ciel. Mais lorsque les nuages crevèrent, la grêle décima les rares fleurs du verger, déposa des œufs de pigeon sur le sol et sur mon chef que j’avais nu.
Aucun pouce de ma peau ne fut épargné. Je reçus une lauze cassée en deux sur le crâne. Si je m’étais coiffé d’un chapel de fer, je n’aurais pas pissé le sang.
Le blé, dans le champ voisin, se coucha. Le chanvre fut déchiqueté, décortiqué, épluché. Les branches des hêtres, naturellement et gracieusement inclinées vers le bas en signe de soumission, palpitèrent, tentèrent de résister. Certaines se plièrent, blessées par les grêlons, cassèrent, définitivement brisées.
La pluie succéda à la grêle. Elle tomba à verse, droite et drue. Un véritable déluge. Le village se transforma en arche de Noé.
Elle blanchit les balèvres de ma poitrine et me trempa jusqu’aux os, les chausses plaquées sur mes cuisses. Je grelottai. La pluie redoubla de force, martela le sol, rebondit en grosses gouttes qui giclaient comme autant de fleurs de lys.
Les aiguillettes de mes chausses lâchèrent. À moitié déculotté par les trombes d’eau et nu comme un ver, je me pris les pieds dans mes braies, mes heuses gorgées d’eau.
Elles avaient, une nouvelle fois, sournoisement glissé sur mes genoux. Je m’étalai de tout mon long dans la boue. Le visage tuméfié, l’arcade sourcilière ouverte, le menton dégoulinant, je me redressai, pataugeai dans les flaques d’une eau spongieuse teintée de mon sang. La glaise s’en nourrit avidement, voracement.
La mousse brunâtre, sur le tronc des arbres, poussait à vue d’œil. Plus une feuille ne palpait l’air de la vie. De vie, d’ailleurs, il n’y en avait plus. L’apocalypse était descendue punir ses sujets dévêtus.
Car nombreux, autour de moi, ici ou là, des hommes, torse nu, bénéficiaient de cette aubaine du ciel plus revigorante qu’un bain tiède dans un baquet crasseux, la tête renversée, la bouche ouverte. Les bras, agités de mouvements rapides, frottaient les corps sous la pluie glacée.
Les cailloux creusèrent de profonds sillons. Les sillons ne purent écouler le gourd boueux qui ravinait entre les pieds et que le sol desséché avait du mal à ingérer. La pluie torrentielle se précipita dans les moindres déclivités de ce terrain pentu.
Elle les transforma en torrents chargés de terre, de pierraille, de fleurs et de feuilles arrachées qui s’étaient envolées ici ou là. Les mottes de terre, d’abord enfoncées, se révoltèrent, se soulevèrent ensuite, gorgées d’une eau que les galeries souterraines étaient incapables d’absorber.
Finalement, au moment même où je décidai de regagner un abri, plus trempé qu’un lion de mer, le Bon Dieu se calma et nous sourit.
Il éclaira de rouge et de bleu mes navrures superficielles au soleil couchant et, comme si rien ne s’était passé, les gros nuages filèrent comme des moutons sous la houlette du berger, un chien aux trousses, pour punir le pays voisin. Après ces mois de sécheresse, la punition était plutôt un bienfait. Encore qu’il eût mieux valu avoir une pluie fine et durable.
Le soleil couchant irisa le pech, en face, de belles couleurs oranger, jaunes et de pourpres mélangées. Le ciel banda son arc de lumière, tel une voûte céleste et colorée. Je fis un vœu.
L’herbe jaunâtre avait frémi aux premières gouttelettes de pluie, avant de serpenter telles des plantes aquatiques.
Elle but goulûment, couchée par la
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