La Marque du Temple
coutumes.
Elle contestait les principes et les pratiques de notre foi catholique dans une vie qui s’écoule au rythme du calendrier de nos fêtes religieuses sous la houlette omniprésente de notre suzerain naturel, le Saint-Père, notre pape et de ses serviteurs, prêtres et évêques.
Les hérétiques albigeois pratiquaient le jeûne trois fois par an pendant quarante jours , ne mangeaient ni viande rouge ni viande blanche, ni fromages ni laitage, car ils considéraient que ces aliments résultaient de la fornication des bêtes alors que les poissons seraient générés par l’eau dans laquelle ils vivaient.
Or donc, les Croyants se contentaient de poissons, d’huiles, de légumes, de fruits et de vin qui ne faisait pas l’objet d’un interdit. Il en découlait logiquement le refus de la chasse et de l’escartèlement des animaux.
J’ignorais alors que la règle de l’Ordre du Temple prohibait aussi et assez curieusement la chasse, sans interdire aux frères de faire ripaille de viande s’ils capturaient le gibier par d’autres moyens.
Tout cela n’aurait eu, à mes yeux, qu’un intérêt historique, aussi tragiques que fussent les moyens employés pour extirper l’hérésie. Elle avait presque disparu, avais-je ouï dire. Toute résurgence ou toute forme nouvelle étaient impitoyablement traquées depuis qu’avaient été institués, en pays d’oc, les nouveaux tribunaux de l’inquisition, entre l’an 1228 et l’an 1233. Et les derniers hérétiques, brûlés en 1329 dans les faubourgs de la citadelle de Carcassonne.
Mais, en rapprochant la philosophie qui était développée dans le codex du comportement et des paroles d’Éléonore de Guirande, il m’apparut qu’elle était assurément une adepte de l’hérésie albigeoise. Ou d’une hérésie assez proche.
Cela ne faisait guère de doute. Mathieu Tranchecourt (que Dieu ait son âme), n’avait pas tort lorsqu’il évoquait les suspicions que d’aucuns de ses compains nourrissaient à son égard. En en redoutant les conséquences, s’il leur était reproché un jour d’avoir caché une hérétique et de ne point l’avoir dénoncée.
Le baron l’ignorait-il ? C’était peu probable. A fortiori, ne l’avait-il pas astreinte à résidence depuis de longues années pour la protéger des tribunaux de l’inquisition qui fleurissaient un peu partout ? À moins qu’il fut lui-même hérétique, ce dont je doutai profondément eu égard à son comportement religieux.
Mais, si la croyance en l’hérésie de son épouse venait à être connue, sur la simple délation d’un familier , elle risquait la mort sur le bûcher, soit vive, soit après avoir été garrottée si elle avait accepté d’abjurer lors du prononcé de la sentence.
Les puissantes amitiés que le premier baron du Pierregord entretenait avec l’évêque de Sarlat et le comte de Toulouse, sa pécuniosité et ses oboles ne sauraient éteindre le feu du brasier qui serait affoué et rôtirait son épouse des pieds jusqu’au chef. Sans compter le risque de commise qu’il encourait assurément sur ses biens et ses châteaux pour avoir abrité et protégé une hérétique.
Quoi qu’il en soit, j’avais appris autrefois, par les moines qui avaient assuré mon instruction, que les expéditions punitives qui furent menées par les croisés de la ligue de paix (curieux nom donné à une atroce mazelerie), dans les premières années du siècle précédent, étaient aussi justifiées que l’avaient été les neuf Grands Voyages, les pèlerinages de la Croix menés en Terre sainte. Je croyais ma religion faite.
À la lecture des principes de foi des hérétiques albigeois, j’en vins à comprendre insidieusement leurs règles morales et religieuses, sans y adhérer pour autant. Les hérétiques vivaient en communauté dans un esprit de charité et de pauvreté, comme les Ordres militaires et religieux au demeurant.
Les plus pécunieux comme les plus pauvres faisaient don à leur Église de tous leurs biens, des revenus de leurs bénéfices et de leur fortune personnelle. Leur richesse était régulièrement abondée par la conversion de nouveaux adeptes de l’hérésie et en gonflait les caisses.
Si les hérétiques albigeois se comptaient, à l’apogée de leur rayonnement, à cent ou deux cent mil, la fortune accumulée par leur Église devait être considérable. Un simple calcul me permit d’en estimer la valeur à plus d’un million de livres
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