La Marque du Temple
dans son cruel sillage,
Sans aucune distinction d’âge,
Les vieux, les jeunes et les sages.
Pour quelques survivants aux abois,
Les charpentiers et les menuisiers
Assemblent et clouent morceaux de bois,
Quatre planches de chêne sans croix
Qui ressemblent trop à des cercueils
Avant que la mort ne les accueille.
Au soir succombent les menuisiers,
À l’aube, tombent les charpentiers.
La nuit éclaire des corps sans vie
Que les mires n’auront guéri.
D’ailleurs, les mires se sont enfuis,
Avec les curés, ils sont partis.
Déjà titubants sur les chemins,
Le diable alors les saisit enfin,
En guise de châtiment divin.
Cimetières remplis de gisants,
Au milieu de planches disloquées,
Sur le sol agonisent les mourants,
Faute de bras pour les transporter
Dans les fosses fraîchement creusées
Où s ’ entassent trop de charognes.
Des masures abandonnées,
Où quelques rares ivrognes
Errent encore en attendant
La délivrance et en chantant.
Bientôt, les celliers abandonnés
À la convoitise des brigands,
Aux rapines de mauvaises gens,
Aux viles compagnies de routiers,
Se répandent sur les calvaires
Dont les corps empuantissent l’air,
Morts pour cause de pestilence
Dans la douleur et le silence.
Ils tentaient d’obtenir leur pardon
Et de leurs fautes la rémission,
En invoquant leur dieu ici-bas
Avant que de passer à trépas,
Le suppliant d’accepter pour don
Ce qui n’était qu’un vol de lardon.
Les mulots, les loirs, les rats des champs,
De tous ces miasmes assurément,
Colportent belle propagation
Dans tout le pays sauvagement.
Sur les rivières et les étangs,
Plane l’odeur pestilentielle
De ces corps en décomposition.
Tel était le châtiment du Ciel.
La mort tisse de noir sa toile
Pour hisser vers Parques sa voile.
Autrefois, existait la Quienne,
Malheureusement l’Aquitaine
Devient tombeau de la Guyenne
Qu’Édouard voulait faire sienne.
Le capitaine d’armes, Raoul d’Astignac, avait pris le nom des manants qui s’étaient présentés à la barbacane et les avait priés de revenir sous huitaine. Il les avait informés qu’il transmettrait leur souhait au lieutenant de la place et que nous ferions tout notre possible pour leur venir en aide.
Je ne pus qu’approuver sa décision : nous redoutions encore trop les risques de propagation de l’epydemie. D’un autre point de vue, nos propres réserves s’épuisaient et nous serions incapables de soutenir un siège plus d’un ou deux mois. Et encore. Dans les pires conditions.
Je regagnai peu après ma chambrette pour y poursuivre mes lectures de la tragédie albigeoise.
Le codex décrivait, avec moult belles précisions, les liens que les Albigeois entretenaient avec les rois d’Aragon menacés d’excommunication en raison de leur bienveillance pour la cause des hérétiques, les tergiversations des comtes de Toulouse, le refus de notre roi Philippe, deuxième du nom, dit Auguste, de participer militairement à la première ligue de paix, les terribles chevauchées de Simon de Montfort et des chevaliers de langue d’oïl…
Tout y était consigné avec magnifiques détails. De l’assassinat du légat du pape, Pierre de Castelnau, le surlendemain des ides de janvier, le 15 janvier de l’an 1208, par un écuyer du comte de Toulouse, jusqu’aux atrocités commises après la prise de l’avant-dernière forteresse albigeoise, le château de Montségur en l’an 1244.
À en croire leur récit, l’écuyer aurait été soudoyé par un frère dominicain pour justifier la répression sanglante des hérétiques. Éléonore de Guirande avait d’ailleurs évoqué cette possibilité lors d’un de nos précédents entretiens.
La terrible litanie des faits commençait ensuite par le massacre des habitants de la cité de Béziers par les croisés, à cinq jours des calendes d’août, le 27 juillet, en l’an 1209 : ‘‘Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! ” Vingt mil Biterois furent passés au fil de l’épée. La cité fut pillée et incendiée. Les rescapés, atrocement mutilés, furent envoyés par-devers le pays pour y semer la terreur.
La formidable bastide de Carcassonne, réputée inexpuniable, fut prise le jour de l’Assomption de Notre-Dame, le 15 août, au mépris de la trêve qui aurait dû être respectée en cette fête. Raymond-Roger Trancavel, vicomte de Béziers et de Carcassonne, saisi et condamné
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