La Marque du Temple
leurs vivres et en brûlant leurs masures. Leur vie elle-même sera soumise aux caprices des soudoyers.
— J’y vois là belle et généreuse mesure, messire Brachet, mais nous crèverons le ventre plein. Nous ne sommes point assez nombreux pour décompisser les Godons. Si leur lance comprend chacune six hommes d’armes, comment pouvez-vous espérer les battre ? Vous n’y pensez pas, intervint le chevalier Thibaut d’Agenais. Ne vaudrait-il pas mieux monnayer notre reddition et leur ouvrir les portes sans coup férir ?
— Notre bravoure n’en sera que plus grande, messire chevalier. Pour défendre les murs d’Acre contre les deux cent soixante mil Sarrasins et autres janissaires du sultan Al-Ashraf, les frères du Temple, de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem et de Sainte-Marie des Teutoniques ne disposaient que de sept cents chevaliers, mil trois cents sergents à pied et quatorze mil piétons. Ils résistèrent deux mois durant !
— Messire Brachet, les défenseurs d’Acre combattirent à un contre treize. Et ils étaient rompus à la guerre, aguerris au combat. Combien parmi nous peuvent-ils en dire autant ? Le rapport des forces est par trop en notre défaveur.
— Thibaut d’Agenais parle sagement : il a la voix de la raison. Préparons-nous à négocier la reddition de notre place, intervint Onfroi de Salignac.
— Je ne vois dans ces propos ni sagesse ni raison, mais récréance ! L’on m’a affirmé récemment que le souffle des chevaliers était mort depuis la bataille de Crécy. Je ne le pensais pas. Je constate ce jour d’hui à quel point j’avais tort !
« Quelle bien triste époque que celle que nous vivons, où l’esprit de défaite plane, ronge les âmes, rampe sournoisement et enfle face à l’adversité. Le duché d’Aquitaine et le royaume de France sont dans la main de bien petites gens. Puissent nos valeureux ancêtres ne point se retourner dans leur tombe ! »
Les visages de mes compains d’armes se fermèrent, mâchoires serrées. D’aucuns baissèrent les yeux. Le vent, dans la salle du Conseil, soufflait du Nord. Je l’attendais en provenance du Sud.
L’un d’eux, le chevalier Gaucelme de Biran qui avait combattu à Crécy aux côtés du roi de Bohème, notre doyen par l’âge, m’invita à poursuivre l’exposé de mon plan de bataille.
« Nous pouvons encore déciper les Godons à un contre dix, si nous prenons, tous ensemble, les dispositions qui s’imposent. Je n’y vois point affaire que nous ne pourrions surmonter. Nos remparts sont bien rehordés, nos sergents d’armes et nos serviteurs bien accorts et nos engins de guerre bien placés.
— À un contre dix ? Et où comptez-vous les cinquante défenseurs qui nous font présentement défaut ? Beynac aurait-il promis l’arrivée de renforts ?
— Beynac n’a rien promis. Les renforts, nous les trouverons chez nos sujets, messire d’Agenais. Chez nos sujets. Je n’ai point le droit de le faire, mais le puis avec votre accord. Si vous m’approuvez, je lèverai dès demain l’arrière-ban pour une durée de quarante jours. Au nom du baron de Beynac.
« Nous prendrons sous notre protection nos paysans, leur femme, leurs enfants et leurs biens. En contrepartie d’icelle, ils nous devront le service des armes. Le marchandage est honnête. Il y va de leur vie après les terribles épreuves qu’ils ont affrontées.
« Nous les formerons, non point au maniement des armes, bien qu’ils manient les faulx et les fauchards mieux que d’aucuns parmi nous, mais à repousser les échelles d’assaut, à rouiller les treuils, à servir l’artillerie en pâtons et en boulets que leurs galapians auront confectionnés.
« Mais nous perdons un temps précieux en discutailles, messires, clamai-je. Les heures nous sont comptées. Chèrement. Sauf à prendre des dispositions immédiates. Sauf à recueillir votre accord en ce Conseil.
— Que ferez-vous, messire Brachet, si nous ne nous rallions pas à votre proposition ?
— Les portes vous seront ouvertes, messire d’Agenais. Pour ma part, je résisterai en la forteresse. Seul, ou avec les plus fendants d’entre nous. Dieu décidera de notre sort.
— Messire écuyer, vous nous avez demandé notre conseil. J’approuve sans réserve votre plan de bataille », tonitrua le chevalier Guillaume de Lebestourac.
Ses écuyers se rangèrent à ses côtés. Le capitaine d’armes acquiesça à son tour, d’un simple signe
Weitere Kostenlose Bücher