La Marque du Temple
du chef, avec une réticence évidente et non sans avoir pesé le pour et le contre.
« Moi aussi, renchérit le chevalier Guillaume de Casnac. J’approuve sans réserve votre plan. À une réserve toutefois : combien devrons-nous bailler à ces manants pour les rallier à notre cause ?
— Pour le service des armes, nous ne leur baillerons pas le moindre sol. Si nous levons l’arrière-ban, ils nous devront le service armé. En revanche, nous débougetterons de quoi leur acheter nos vivres. Ils en seront fort aise, croyez-moi, messire de Casnac. Le risque de passer les pieds outre est moins grand à l’intérieur de notre enceinte qu’à l’intérieur de leur modeste basse-cour.
« Ces gens sont humbles. Mais ils auront vite fait le compte de leurs avantages : de quoi vivre jusqu’au printemps prochain, ensemencer leurs champs, engraisser leurs porcs sans craindre qu’on violente leur femme ou qu’on égorge leurs enfants.
— J’approuve, déclara notre nouvel écuyer tranchant, Guilbaud de Rouffignac. Je suggère cependant d’acheter aussi toutes les bêtes sur pied qui ne relèvent pas directement de la seigneurie de Commarque. Envoyons un ou deux chevaucheurs armés de quelques écus, sols et deniers pour convaincre les plus récalcitrants.
— Vous nous avez donné autrefois leçon de devoir, messire Brachet. Ne voilà pas que vous nous donnez à présent leçon de choses, déclara le chevalier Gaucelme de Biran qui avait combattu à la bataille de Crécy.
— Je vous rends grâce pour votre sagesse et votre courage, messire chevalier », lui répondis-je, en tendant à Raoul d’Astignac une aumônière qui contenait cinquante florins d’or pour participer aux débours qu’entraînait mon plan.
« Mes beaux sires, ai-je recueilli votre assentiment en ce Conseil ? » demandai-je. Tous opinèrent du chef en s’accoisant et mirent la main à leur bougette, plus ou moins à rebelute. Chacun y allant selon ses moyens.
Élastre de Puycalvet, Amaury de Siorac et Guy de Vieilcastel se proposèrent de chevaucher par combes et pechs pour lever l’arrière-ban et réunir les vivres et le bétail qui pouvaient être convoyés vers notre village fortifié.
J’acquiesçai sans réserve aucune et priai le capitaine d’armes de compter les débours de chacun sur un registre tenu à cet effet. Nous réglerions nos comptes plus tard.
Après avoir remercié les gentilshommes pour leur conseil, j’ordonnai que notre plan soit mis en œuvre avant prime, et envisageai de me rendre incontinent dans la cellule où j’avais enchefriné Romuald Mirepoix de la Tour.
J’avais deux mots à lui dire avant d’assembler les gens d’armes, les valets et les serviteurs pour les informer des dispositions que nous avions prises. La bataille serait rude si les Godons tentaient d’enlever la place. Mais nous serions préparés au mieux, me semblait-il, pour soutenir un siège.
Je ressentis alors une grande lassitude. L’annonce de la mort du tout puissant premier baron du Pierregord chevauchait dans mon chef comme un cheval fou, gavé d’avoine, livré à des fantosmeries hallucinogènes.
Il avait trépassé. Loin de moi. Sans que je pusse recueillir son dernier souffle. Ni lui dire l’amour et la reconnaissance que j’éprouvais pour lui. Je lui devais tout. Je me signai et recommandai son âme à Dieu. Puisse-t-il au moins reposer en paix et garder fierté de mes actes.
À la parfin, je décidai de reporter mon entretien avec le chevalier Romuald Mirepoix de la Tour. Après tout, il n’y avait point urgence.
Le lendemain matin, je rendis une visite à mon prisonnier. Le chevalier Mirepoix de la Tour me prit sans vert. Je l’observai avec moult attentions. Sa barbe et son crâne étaient rasés de près, faisant ressortir les rides de son visage glabre. Il tenait d’une main aux veinules saillantes, une plume d’oie et grattait un mauvais palimpseste d’une encre de couleur ocre. Mon intrusion dans la petite pièce où il était reclus suspendit son geste. Il leva vers moi des yeux de chien battus, rougis par de longues heures d’écriture, emplis de tristesse.
Son visage blafard portait les stigmates d’une grande souffrance qu’accentuait la flamme dansante du falot qui trônait sur la modeste écritoire. Ses poignets étaient bandés par des linges propres.
« Ainsi, c’est à vous que je dois d’être enchefriné, messire Brachet de Born ? Vous avez
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