La Marque du Temple
assurément trop occupée à surveiller les échelons ennemis. Il était clairement établi que la garnison de la forteresse, toujours exposée à la menace d’un siège, n’affaiblirait pas son système de défense pour renforcer les nôtres. Le chevalier de Montfort me priait d’accuser bonne réception du message par les mêmes voies.
Nous nous regardâmes, Raoul d’Astignac et moi, d’un air lourd de sous-entendus. Si la bataille anglaise mettait le siège devant notre château, nous devrions combattre à un contre vingt ! Le rapport des forces serait bien pire que je ne l’avais envisagé dans mes craintes les plus folles.
Nous évoquâmes les dispositions à prendre de toute urgence et décidâmes d’un commun accord de réunir les hommes d’armes dans la salle du Conseil. Après m’être assuré que personne, à part nous, n’avait pris connaissance du message, je l’adjurai de taire pour l’instant la triste nouvelle du décès.
Il en répondrait sur sa vie si elle venait à s’ébruiter. Autant éviter une émotion qui pourrait mettre le village à feu et à sang ou une simple perte d’esprit combatif, facteurs peu favorables à des préparatifs de guerre, pensai-je. Et je ne voulais surtout pas que la baronne le sache. Libérée de ses chaînes, elle serait peu encline à répondre à mes questions, car j’étais persuadé que le chevalier de Montfort lui rendrait sa liberté dans le pire des cas, l’épouserait dans le meilleur.
La cloche sonna vêpres. Encore abasourdi par l’annonce du décès du baron de Beynac, je me rendis dans la chapelle Saint-Jean pour me recueillir et prier pour le repos de son âme. Et pour invoquer la Vierge de Roc-Amadour. La supplier de nous donner force, courage et vaillance face aux nouvelles menaces que nous risquions de devoir affronter. Et d’épargner la vie de nos gens.
L’esprit moins agité, l’âme en paix, je pénétrai l’air faussement décidé dans la salle du Conseil qui jouxtait le donjon. Quelle que fut ma tristesse, je devais remplir les devoirs de la charge qui m’avait été confiée. Il y en allait de notre vie :
« Mes beaux sires, nous avons tout lieu de craindre un siège anglais avant les calendes de novembre. Une bataille d’environ cent cinquante lances pourrait bien faire mouvement vers nous dans les prochaines semaines, nous ont informé les espions de messire le baron de Beynac. »
Un brouhaha s’éleva. Tous firent un rapide calcul. Cent cinquante lances, cela signifiait une troupe de neuf à douze cents gens d’armes, chevaliers, écuyers, sergents, piétons et archers. Nous n’avions qu’une petite cinquantaine d’hommes et de femmes pour défendre le village. Je levai la main pour les prier de m’écouter plus avant. Les murmures cessèrent, mais les visages étaient tendus. Je poursuivis :
« Je viens céans vous soumettre mon plan de défense et prendre votre conseil. Je suggère, pour commencer, que nous assignions tous nos serviteurs et nos servantes aux travaux des champs, dès demain.
« Qu’ils prêtent main-forte à nos paysans et à nos vilains pour moissonner et récolter ce qui peut encore l’être avant l’approche de la bataille ennemie. Pour panser et soigner leurs bêtes. Sur l’heure, il n’est pas encore certain que les Anglais tentent d’enlever notre place d’assaut. Peut-être passeront-ils leur chemin. Mais ils se saisiront de tous les vivres qu’ils trouveront sur leur passage, sans bourse délier.
— Mais, messire Brachet… m’interrompit Onfroi de Salignac, qui appartenait au chevalier Gaucelme de Biran.
— Un instant, je vous prie, messire. Je n’en ai point terminé encore. Nous disposons, à mon avis, de moins de deux à trois semaines pour mener cette tâche à bonne fin. Dans notre seigneurie, selon mes premières informations, un tiers ou la moitié de nos paysans ont été victimes de la pestilence. Nous devons leur porter secours. Il y va de notre survie aussi.
« Nos réserves s’épuisent et nous ne pourrions déboter les Anglais le ventre creux. Je suggère, en conséquence, d’acheter leur maigre récolte, de conduire les bêtes encore sur pied, bœufs, vaches, chevaux, porcs, moutons et volailles, à l’intérieur de notre enceinte, avant que les Godons ne fassent main basse sur iceux.
« Nos ennemis sont certainement comme nous en grande disette et ils ne manqueront pas de se rédimer sur le dos de nos gens, en pillant
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