La Marque du Temple
triples fines mailles d’acier m’enchâssait tout à trac, le gorgerin aussi, du chef au col, pour cacher ma chevelure. Trop blonde.
Sans heaume ni simple chapel de fer. Le heaume aurait réduit la visibilité et le chapel aurait brillé au clair de lune. Précaution bien inutile par cette nuit de lune noire. La lune ronde, bien blanche, n’était pas au rendez-vous. Ni pleine lune ni simple croissant. C’était mieux ainsi.
L’avant-garde ennemie tenterait-elle un assaut cette nuit en profitant des brûmats qui s’étendaient sur la vallée pour monter à l’assaut des murs d’enceinte de notre village fortifié ? Ou pour tenter d’investir la place par félonie ?
Je songeai que la herse qui fermait le passage situé sous la chapelle Saint-Jean était restée relevée. Un grand danger si l’Anglais réussissait à franchir la poterne en chêne massif qui fermait l’autre extrémité du couloir.
Mais la porte était solidement bardée de fer et de clous de girofle. Il aurait fallu l’action d’un fort bélier pour en venir à bout. Or, le chemin d’accès était fortement escarpé, et les coups de bélier auraient mis toute la garnison à l’arme.
Marguerite et moi avions conduit la baronne et sa servante dans la crypte souterraine qui s’ouvrait sous l’autel de la chapelle, en fin d’après-midi bien après none.
J’avais récupéré les parchemins sur lesquels la châtelaine et les témoins avaient dûment porté leurs paraphes et leurs sceaux.
Éléonore de Guirande avait eu du mal à en croire ses yeux lorsqu’elle avait vu que sa servante Annette vivait toujours ! Suite à l’une de nos dernières conversations, elle avait crû, ainsi que je le lui avais laissé entendre, que sa servante était morte dans d’atroces souffrances. Après avoir été soumise à la question extraordinaire que j’avais prétendu lui avoir infligée dans une chambre de torture imaginaire.
“Tout ceci n’était qu’un jeu, baronne, lui avais-je expliqué. Le jeu de la vérité et du mensonge. Vous avez perdu !
— Vous m’avez menti !
— Comme vous. Mais moi, j’ai gagné la belle !” avais-je jubilé en effleurant ses lèvres d’un doigt que j’avais retiré vivement avant qu’elle ne le mordît.
Au crépuscule, vêtus d’habits de manants, encapuchonnés, nous avions traversé le village en grande discrétion, levé la herse qui fermait le passage souterrain, avions fait jouer la mécanique de la croix cléchée après avoir bandé les yeux de la châtelaine et de sa servante et les avoir bâillonnées. Pour notre sécurité et la leur. Puis nous avions pénétré dans un réduit souterrain.
J’avais confié au capitaine d’armes, Raoul d’Astignac, la garde de René le Passeur en lui déclarant que je soupçonnais ce dernier de trahison. Pour éviter qu’il ne tente un mauvais coup, il l’avait conduit au cachot et enchefriné sur mon ordre malgré ses véhémentes protestations.
Lorsque Marguerite avait aidé Éléonore à se dévêtir, quel n’avait pas été son étonnement de découvrir sous sa robe une ceinture de cuir qui n’avait rien d’une ceinture de chasteté, mais qui enfermait à l’intérieur de l’étui de fabuleuses émeraudes, d’une valeur estimable de plus de dix mil livres tournois !
Pressée par mes soins, la baronne avait dû reconnaître que ces émeraudes lui avaient été remises par son fils Arnaud, à son retour de l’île de Chypre.
Cela accréditait mon hypothèse selon laquelle Arnaud de la Vigerie avait monnayé l’une des fioles auprès d’un marchand. S’il n’avait pas répandu de sa main le contenu de la fiole dans quelque baquet d’eau destiné à abreuver l’équipage d’une des nefs, il l’avait assurément vendue à l’un des partis qui s’efforçaient de se les approprier.
À moins qu’après avoir effectué la transaction et s’être vu bailler le prix de sa turpitude, il ait, avec ou sans la complicité du chevalier de Montfort, assassiné l’acquéreur. De là à penser qu’il avait également commis le meurtre du père Louis-Jean d’Aigrefeuille, voire du chevalier hospitalier Gilles de Sainte-Croix, il n’y avait qu’un pas. J’étais prêt à le franchir.
Je devais toutefois reconnaître que cette hypothèse innocentait le triste sire de Castelnaud de Beynac, puisque le Mal noir s’était déclaré lors de notre traversée avant notre arrivée en Pierregord.
Enfin,
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