La Marque du Temple
ultime combat. C’était l’homme que j’attendais.
Lorsqu’il le reconnut, Romuald Mirepoix de la Tour desfora son épée et se rua en avant, avant que j’eusse eu le temps de l’en dissuader en hurlant : « Il est à moi ! »
C’était avec son entendement et celui d’aucuns chevaliers et écuyers de la place que j’avais organisé le piège dans lequel le sournois s’était fait prendre. Prendre en flagrant délit de félonie.
Je dégainai mon épée d’estoc et mon braquemart pour participer au combat lorsque l’impétueux et trop brave chevalier me supplia :
« De grâce, messire Brachet, laissez-moi vous montrer ma façon d’escrémir ! Je veux occire ce traître de ma main ! »
Raoul d’Astignac leva la hache qu’il tenait de sa main senestre et pointa son épée. Un peu tard. Un peu trop tard. Sous la violence du coup qu’il lui porta, la lame du chevalier brisa plusieurs mailles de son haubert et entailla profondément la poitrine de celui qu’il soupçonnait aussi, depuis longtemps, de trahison et de meurtre.
Avec une étonnante adresse, il recula d’un pas pour éviter le tranchant de la hache brandie sur son chef, prit appui sur sa jambe senestre et, en un coup tourbillonnant, eschiva l’épée adverse et trancha la joue du capitaine d’armes. Le sang gicla. L’entaille était profonde et la moitié du nez emportée.
« Traître, mort à toi ! Recommande ton âme au Diable ! » hucha-t-il, à oreilles étourdies.
Raoul d’Astignac lâcha son épée et porta la main sur la plaie sanguinolente en implorant grâce :
« Je demande grâce, messire Brachet. Je me rends. J’ai moult et belles navrures et ne puis poursuivre le combat !
— Point de merci pour les félons comme toi ! » rugit le brave Romuald Mirepoix de la Tour, ivre de rage et d’une victoire qu’il sentait d’autant plus belle que j’avais douté de sa vaillance et de sa science dans le maniement de l’épée.
Il poussa l’avantage et, avant que j’eusse le temps de le prier d’accepter la reddition du capitaine d’armes, en un geste d’une étonnante adresse, souple, court et précis, il trancha l’oreille de son adversaire.
Le visage d’icelui, maculé de sang, gravement mutilé, prit une noirceur de charbon lorsqu’il baissa le chef. Il m’implora d’une voix chevrotante, refusant de s’adresser à Romuald :
« Merci ! Merci ! Je crie merci, messire Bertrand !
— Accordez-lui votre grâce, messire Romuald ! L’homme est votre prisonnier et il répondra de ses crimes devant le chevalier de Montfort ! Belle passe d’armes, mon ami ! Belle démonstration d’une façon d’escrémir qui vous honore ! » m’écriai-je.
Le chevalier de la Tour se tourna vers moi et me dit, le souffle court, le sourire aux lèvres :
« Puisqu’il en est de votre volonté, messire Brachet de Born, je me rends à votre requête. Que ce félon soit jugé, pendu ou le chef décolé sur le billot, selon bon procès qui lui sera fa… »
Avant qu’il ait eu le temps d’achever sa phrase, un sifflement rauque déchira l’air. Le chevalier Romuald Mirepoix de la Tour s’effondra dans mes bras, le tranchant d’une hache d’armes fichée dans les omoplates. Il mourut sur l’heure. Mort en brave. Lâchement occis dans le dos par celui à qui il venait d’accorder sa merci. Juste après avoir articulé péniblement ces trois mots : Mors ultima ratio , auxquels je ne prêtai aucune attention.
En trois pas, deux moulinets et un coup d’estoc, je plantai la pointe de mon épée dans le creux de l’aisselle de celui dont le bras était encore tendu en avant. La pointe, au défaut des mailles, pénétra profondément les chairs.
Loin de la retirer, je l’enfonçai jusqu’au cœur. Pour être passé en armes sous l’autel du Christ et de la Vierge Marie ! Pour avoir enfreint cette interdiction séculaire ! Et pour sa trahison !
Raoul d’Astignac, ancien capitaine d’armes de la place de Commarque, tortionnaire de Julien Liorac, empoisonneur de Mathieu Tranchecourt et félon à la cause de ses maîtres, avait vécu. Excommunié post mortem pour vilenie.
Il tomba sur les genoux, s’affala les bras en croix, mordit la terre à pleines dents. Du bout de ma botte, je retournai le corps et le visage desfacié de cette vipère. De son bec, jaillit un mélange gluant de glaise, de cailloux et de bave.
Je fermai les yeux du noble et courageux chevalier Mirepoix de la Tour,
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