La Marque du Temple
remparts de la forteresse qui dominait le port assiégé par les chrétiens d’Orient. Pour semer la mort d’un camp dans l’autre.
Mais les équipages des trois nefs étaient sains et saufs à leur arrivée en l’île de Chypre, peu après les feux de la Saint-Jean, après plusieurs semaines de traversée et d’escales.
Les mestres-capitaines avaient radoubé leur navire et fait procéder à la réparation des avaries qu’ils avaient subies lors de la terrible tempête qu’ils avaient essuyée en mer de Crimée. Lors de notre départ, trois mois plus tard, les équipages étaient toujours aussi gaillards qu’à leur arrivée.
Or, lorsque le Mal avait frappé, un ou deux jours après notre embarquement pour le port de Gênes, parmi les marins qui en furent victimes, d’aucuns avaient été emportés en quelques heures, les autres en moins de trois jours.
« Qu’avez-vous donc fait, messire Foulques, Arnaud et toi pour ne pas être atteints par l’epydemie qui sévissait à bord ? s’étonna le baron.
— Rien messire, rien ! Absolument rien ! Notre vie ne tenait qu’à un fil. Le fil de la Vierge. Notre heure ne devait pas être venue. Il en fut de même pour l’autre moitié de l’équipage. Celle qui survécut. Un miracle. Qu’aurions-nous pu faire ? Nous ne connaissions pas cette épouvantable maladie qui noircissait mieux les corps que le charbon d’un bûcher.
« Le physicien personnel du Saint-Père, messire Guy de Chauliac, dès qu’il apprit les malheurs que nous avions affrontés, nous fit examiner plusieurs jours durant et nous pressa de moult questions sur les sinthomes que nous avions vus de nos yeux à bord des nefs.
— Soit. Mais comment expliquer que le Mal noir ait pu venir jusqu’à nous ? s’enquit le baron.
— Quand nous accostâmes dans le port de Marseille, le mestre-capitaine ordonna que nos bagages et le pur-sang dont m’avait gratifié la princesse Échive soient déchargés en premier. Que Dieu en soit loué !
« Dès que les jaugeurs-jurés furent montés à bord de la nef pour évaluer le poids et la qualité des marchandises négociées, ils se rendirent aussitôt compte de l’état de l’équipage comme s’en étaient rendus compte ceux du port de Gênes. Ils ordonnèrent au mestre-capitaine d’appareiller incontinent et de rejoindre les deux autres nefs qui croisaient au large.
« Quelques membres de l’équipage de la Santa Rosa abandonnèrent aussitôt le navire et sa cargaison. Croyant fuir la pestilence, les malheureux tentèrent de débarquer. La plupart d’entre eux furent lapidés à mort ou mortellement blessés par les flèches que leur décochèrent les arbalétriers de la garnison portuaire.
« Rares furent ceux qui parvinrent à s’échapper à la faveur de la nuit. D’aucuns parmi eux étaient peut-être atteints par cette maladie et l’auraient répandue dans la ville ou alentour. »
Le baron approuva du chef. J’avançai cependant une autre hypothèse :
« Le Mal noir a plus certainement été répandu par les rats qui vivaient à bord des navires. Pour avoir vu les tas de boues et d’immondices qui s’accumulaient dans le port et dans la ville, des carcasses d’animaux équarris et le sang des écorcheries qui s’écoulait au milieu de la rue des mazeliers, croyez-moi, il y avait là beaux festins pour ces créatures du Diable aussi noires que le Mal !
« Déjà, lors de notre débarquement en l’île de Chypre, nous en avions vu qui profitaient du déchargement de la cargaison pour prendre l’air. Arnaud, s’il était parmi nous, pourrait témoigner de leur présence dans les cales de la Santa Rosa. Les rats se multiplient comme des lapins, courent en tous sens et propagent moult…
— Les rats, les rats, certes les rats nous attirent bien des maux, m’interrompit le baron, mais les rats n’expliquent ni pourquoi ni comment le Mal noir est apparu à bord des nefs pendant votre traversée. Deux ou trois jours après avoir appareillé de Famagouste et avant d’atteindre le port de Gênes ! Comme sous l’effet d’un sort jeté par quelque fagilhère, quelque sorcière !
— Selon moi, messire, le meurtrier du père d’Aigrefeuille entendait s’approprier les trois fioles, dis-je. Mais il dut éprouver quelques difficultés à faire jouer la clef papale dans la boîte à messages. Il n’eut le temps de se saisir que de l’une d’entre elles. Cette fiole a pu être introduite ensuite à
Weitere Kostenlose Bücher