La Marque du Temple
quels moyens.
Tout, ou presque, avait commencé vers la deuxième moitié du onzième siècle lorsque le sultan Hakim avait ordonné la destruction du Saint-Sépulcre : les Turcs seldjoukides venaient d’envahir et de conquérir la terre de Palestine.
Les nouveaux maîtres massacraient régulièrement quelques chrétiens et menaçaient l’empire d’Orient. Les pèlerinages étaient devenus de plus en plus difficiles, de plus en plus dangereux et la situation de l’empereur chrétien de Constantinople, Alexis Comnène, menacé à ses frontières, de plus en plus fragile.
Début d’un enchaînement fatal où haines, trahisons, vengeances nous avaient opposés les uns aux autres.
Le premier pèlerinage, mené par Pierre l’Ermite à l’appel du pape Odon de Lagery, connu sous le nom d’Urbain, deuxième du nom, s’était traduit par un bain de sang du côté des pèlerins : partis en désordre, mal équipés, sans commandement, ils crurent délivrer le tombeau du Christ par la seule force de leur foi et de leur nombre (ils étaient plus de cent mil). Hommes, femmes et enfants furent tous massacrés sans pitié. Ou vendus sur les marchés d’esclaves, ces foires aux êtres humains qui, làs, sévissaient depuis l’Antiquité.
Mieux organisés, deux ou trois ans plus tard, messires Godefroi de Bouillon, Bohémond de Tarente, Raymond de Saint-Gilles et Hugues de Vermandois, venant des quatre coins de l’Occident, rassemblèrent leurs batailles en la cité de Constantinople.
Après s’être regroupés et avoir mis le pied en Terre sainte, ils essuyèrent des conditions climatiques épouvantables. La fièvre, les escarmouches incessantes, la faim faillirent bien venir à bout de leur entreprise. Ils réussirent cependant à enlever la forteresse d’Antioche à grand arroi de peines, à prendre d’assaut l’immense cité de Jérusalem et à délivrer le tombeau du Christ.
Ils en massacrèrent la garnison fâtimide et passèrent la plupart des habitants au fil de l’épée ou par-dessus les remparts. Quand ils ne plantèrent pas leur tête à la pointe des lances. Il s’ensuivit, au fil des ans, d’innombrables massacres de part et d’autre qui attisèrent les haines ancestrales.
Jusqu’à la prise de la ville d’Acre, deux siècles plus tard. Jusqu’à ce que les sarrasins nous boutent hors le royaume de Jérusalem. Au grand dam du roi de Chypre, Hugues de Lusignan, quatrième du nom, qui rêvait toujours de repartir à la reconquête de la ville dont il n’avait de roi que le titre.
Perdu dans mes pensées, les yeux mi-clos, je les ouvris tout grand lorsque le baron toussit. Je levai les yeux sur le chevalier de Montfort. Il me jeta un regard noir.
« Non, messire Foulques, je ne somnolais point, voyez-vous ; je méditais seulement vos derniers propos », le rassurai-je, avant que le baron ne posât une question surprenante :
— Y avait-il des Juifs à bord de vos nefs, quelque conseiller des mestres-capitaines par exemple ? »
Nous nous regardâmes étonnés, Foulques et moi, pris sans vert par la question du maître des lieux. Elle nous parut bien incongrue sur le coup.
« Ce n’est point impossible. Juifs, Lombards, Génois et Vénitiens font bon ménage pour le commerce, répondis-je. Pourquoi cette question, messire ? Le baron s’expliqua :
— Parce que les Juifs pourraient envisager de nous faire bailler chèrement les justes mesures qu’ils nous ont contraints de prendre à leur encontre.
« Savez-vous, messires, que dans les premières années du siècle dernier est apparu dans le royaume d’Espagne, à l’initiative d’un juif de rite sépharade, Ezra ben Salomon, le mouvement de la Kabbale qui essaima par tradition orale ?
« Prêchant la dévékouth, la vie en conformité avec Dieu, l’un de ses prédicateurs les plus célèbres, Abraham ben Samuel Aboulafïa, se rendit à Rome vers les années 1290 pour tenter d’obtenir audience auprès de notre pape Nicolas. Sans succès. »
Brandissant plusieurs parchemins et quelques codex dans lesquels il avait glissé des signets de feuilles de vigne séchées, témoins de lectures passées, le baron développa sa pensée :
« La mission prophétique dont se crurent investis les membres de cette confrérie fut reprise par Abraham ben Samuel. Il fonda des communautés dans les juiveries des villes méditerranéennes du Levant, de Grèce, d’Italie et particulièrement dans notre
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