La Marque du Temple
invraisemblable pour être vraie.
Et pourtant, si elle était avérée, elle pouvait expliquer bien des choses. Mais il n’était point question de l’évoquer céans. J’avais juré le secret sur la Croix. J’étais prisonnier de mon serment. Aussi m’étais-je accoisé. Le baron en aurait-il eu connaissance ? Je l’ignorais.
Avant les matines, nous avions évoqué l’origine des trois fioles censées contenir l’eau et le sang du Christ. Ou quelque poison violent ? Nous avions rappelé les circonstances tragiques de la mort du père Louis-Jean d’Aigrefeuille. Pour la première fois, j’évoquai la disparition mystérieuse de l’une des fioles qui semblait avoir coïncidé avec l’arrivée du Mal noir à bord des nefs et la contamination qui en suivit.
« Personne apparemment ne sait ce jour d’hui ce que contiennent ces fioles, résuma le baron de Beynac. Si elles contiennent la mort par le Mal noir, nous n’oserions pas les faire boire par quelque condamné au supplice : les bourreaux risqueraient d’en être les premières victimes, s’il est vrai que sa propagation est aussi rapide qu’on le prétend, s’inquiéta le baron en fronçant les sourcils qu’il avait touffus.
« Au fait, qu’est-il advenu des deux fioles encore intactes ? Car elles sont intactes, n’est-il pas, Bertrand ? Le père d’Aigrefeuille ne t’en avait-il pas confié la garde avant de trépasser ?
— Elles sont en lieu sûr, messire.
— Où ?
— En un lieu que je n’entends point révéler, selon le vœu que je fis au défunt aumônier général de la Pignotte lorsqu’il me chuchota ses dernières volontés {x} , affirmai-je catégoriquement.
— Et si l’on vous soumettait à la question extraordinaire, ironisa le chevalier de Montfort, livreriez-vous le secret de votre cache ?
— Ne m’aviez-vous point expliqué, un certain jour et non sans m’en faire grand reproche, qu’on ne devait point faire saillie sur ce sujet, messire Foulques ? répliquai-je étonné, avant d’affirmer avec force conviction et grande mauvaise foi :
« Soyez cependant assuré que je ne pourrais en livrer le secret. Quand bien même devrais-je comparaître devant le tribunal de la sainte Inquisition. Ces fioles ne sont plus en ma possession et le saint homme, à qui je les ai confiées, est passé de vie à trépas, le jour de l’Annonciation de Notre-Dame de mars, soit le 25 de ce mois.
— Te portes-tu garant de l’usage qui pourrait en être fait ? intervint le baron.
— Sur ma vie : ces fioles sont sous la protection de la Vierge Marie, en un lieu connu du défunt et d’icelui seulement. Je ne puis en dire plus avant. Quand bien même le voudrais-je.
— Et la troisième fiole qui a été dérobée au père d’Aigrefeuille dans le confessionnal, sais-tu ce qui l’en est advenu ? reprit le baron.
Que nenni. Il est possible qu’elle ait été versée, soit dans un baril d’eau douce, soit lors de notre traversée avant d’atteindre le port de Gênes. La maladie dont l’équipage fut victime se déclara entre-deux.
— Comment le Mal a-t-il pu se répandre d’une nef à l’autre ? questionna le baron.
Il est possible que ce soit par l’entremise bien involontaire du mire qui se trouvait à bord de l’une des nefs : le brave homme tenta de calmer les douleurs des malheureux à l’aide de quelques plantes médicinales dont les gens d’Italie ont le secret. Il passa souventes fois d’un bord à l’autre. Trop souventes fois.
« Jusqu’à être victime du mal qu’il avoua être dans l’incapacité de guérir malgré sa science et ses électuaires. Son corps boursouflé, couvert de truffes et autres ganglions, fut rendu à Dieu et à la mer trois jours après », répondit Foulques avec une moue de dégoût.
J’acquiesçai en hochant la tête, mais le baron ne se satisfit pas de cette explication. Il poussa plus avant son interrogatoire :
« D’où venaient la Santa Rosa, la Santa Elisa et la Santa Lucia ? s’enquit-il.
— Du port de Kaffa, en mer Noire, avant de faire escale à Constantinople sur le chemin du retour, à en accroire les carte di fortuna et les commentaires du mestre-capitaine de la Santa Rosa », répondîmes-nous, le chevalier et moi.
Je poursuivis la narration et devançai les questions que le baron ne manquerait pas de poser. Nous avions en effet ouï dire que les Turcs catapultaient des moribonds par-dessus les
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