La Marque du Temple
chevauchée contre les hérétiques albigeois. Cette tour aurait abrité, selon la légende, les amours coupables de la dame Alioutcha, épouse du baron Armel de Beynac, et du seigneur Hugon, frère d’icelui.
Les puits ne communiquaient entre eux que par un passage étroit et surbaissé sis en contrebas et creusé dans le rocher sur une longueur d’environ six pieds.
De sorte qu’il n’était possible d’accéder à l’ouverture du souterrain qui se trouvait de l’autre côté, à la même hauteur que nous, qu’à la condition de descendre les marches en serpentin du premier puits, de franchir l’étroit et dangereux passage qui le séparait du second, puis de gravir en sens inverse les marches qui autorisaient l’accès au souterrain et, si l’on venait du château de Commarque, défendaient l’accès au cœur même de la forteresse de Beynac.
En soi, rien ne laissait présumer de difficultés particulières dans l’état que je viens de décrire. Certes, les marches n’avaient une largeur que de quelques pouces, un peu moins de deux pieds, et ne permettaient le passage que d’une seule personne à la fois.
Pourtant, l’accès au château (si l’on tentait de pénétrer en venant du château de Commarque) ou l’accès au souterrain (si l’on évacuait le château de Beynac) n’était franchissable qu’à une seule condition. Une condition sine qua non : la vanne de l’écluse devait être mue par une mécanique avant d’ouvrir la porte sur le seuil de laquelle nous nous tenions. L’eau de la source serait alors déviée par un clapet manœuvré par le treuil.
Une source, dont le débit variait selon les saisons, se déversait en effet à une coudée, à la senestre de la porte du réduit dans lequel nous piaffions d’impatience et grelottions de froid.
Lorsque la vanne de l’écluse était fermée, la source inondait plus ou moins rapidement, selon son débit, les deux puits d’accès qui s’étendaient à nos pieds en vertu du principe naturel de la loi d’équilibre de l’eau lorsqu’elle circule dans deux conduits reliés entre eux. J’avais renoncé à en calculer le volume, eu égard à la géométrie très irrégulière des lieux. Plusieurs centaines de milliers de barils d’eau, certainement.
Un orifice, percé sous la première marche sur laquelle nous allions poser le pied dans quelques instants, détournait en permanence le trop-plein d’eau vers la falaise, côté est. Il évitait ainsi que l’eau de la source n’envahisse les sous-sols du logis seigneurial et n’en sape les fondations.
L’écluse sise une toise plus bas, juste à la hauteur du passage entre les deux puits, n’était certes pas parfaitement étanche, mais l’eau qui s’infiltrait entre les joints d’étoupe et de poix était d’un écoulement beaucoup plus faible que le débit moyen de la source.
Tant que l’eau affleurait les premières marches de l’escalier, aucun être humain n’aurait été capable de franchir ce sas : il aurait fallu descendre les dix premières marches du puits sous l’eau, franchir le passage et remonter les dix autres marches du second escalier pour se hisser hors et atteindre l’ouverture du souterrain. L’accès n’était pas possible, ni dans un sens ni dans l’autre. Sauf à avoir été doté par le Seigneur de branchies comme les poissons des mers et des rivières.
Une évacuation, et a fortiori une invasion de la forteresse était impossible. Une mécanique ingénieuse interdisait l’ouverture de la porte du réduit dans lequel nous nous tenions si la vanne de l’écluse, sise une toise en contrebas, n’avait pas été relevée pour permettre à l’eau contenue dans les escaliers de s’évacuer sous la pression qu’elle exerçait sur elle-même, jusqu’au point de passage entre les deux escaliers.
Encore fallait-il déjouer le piège subtil qui avait été aménagé à l’endroit même où l’on était invité à franchir, une toise plus bas, le passage surbaissé entre les deux escaliers en voûtant le dos. Sauf à en connaître le secret, une mort atroce par suffocation et ingestion d’eau guettait les ignorants.
Le passage surmontait en effet une caverne qui s’étendait sur une hauteur de deux toises et sur une largeur de plus du double. Que l’écluse soit ouverte ou fermée, la cavité était noyée en permanence d’une eau croupie où gisaient peut-être les ossements de quelques imprudents par trop
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