La Marque du Temple
Dieu ! Par la grâce de messire Arnaud de la Vigerie, petite lingère ! gloussa Arnaud. N’oublie pas que tu me dois la vie, petite niaise !
— Que nenni, messire Arnaud. Je ne vous dois rien. Rien que la mort ! se révolta Marguerite entre deux sanglots.
— Comment peux-tu oser pareille farcerie ? C’est à moi que tu dois d’avoir franchi la trappe dans l’eau et non point à Dieu que tu dois la vie sauve, niquedouille ! Onques ne l’oublie ! Onques !
« Un jour ou l’autre, tu devras me bailler ta délivrance. Selon mon bon plaisir ! Je deviendrai ton ami de chair ! Jusqu’à ce que je n’éprouve plus de plaisir à te biscotter. Jusqu’à ce que tu sois grosse de mes œuvres ! Tu me supplieras alors de te donner du plaisir charnel !
— Jamais, messire Arnaud ! Au grand jamais, je ne me donnerai à vous ! » hurla Marguerite.
J’étais consterné, les sens en grand émeuvement. Mon cœur balançait entre une immense reconnaissance pour Arnaud et les sentiments d’une autre nature et non moins forts que je portai à ma petite lingère.
« Veux-tu retourner de là où tu viens ? lui répondit Arnaud, d’une voie glaciale.
— Plutôt mourir que de me donner à vous !
— Tes paroles outrepassent ta pensée, sale petite bagasse ! Petite ribaude chatemite ! Voilà comment tu me remercies de t’avoir sauvé la vie au péril de la mienne ?
« Si tu venais à manquer de parole, j’en viendrais à enlever ta virginité d’assaut. Il est vrai que la place se soumettra aisément et que le plaisir en sera moindre : on ne déflore pas le pucelage d’une ribaude qui l’a perdu depuis longtemps.
« Ah, certes, ce n’aura assurément pas été par la grâce d’aucuns qui ne savent même pas dans quel trou enfiler leur quenouille ! » éructa Arnaud en la giflant à toute volée, après avoir espinché de mon côté.
Sous la violence de la gifle, Marguerite perdit l’équilibre et chut en arrière. Ses bras brassaient l’air, sans trouver à quoi s’accrocher. René s’était défait pour me libérer le passage. Avec une étonnante adresse, il attrapa ma torche au vol. Je saisis la main de Marguerite à l’instant fatal où elle allait basculer dans la trappe.
« Arnaud, je t’interdis de lever la main sur elle. Et de la traiter de… de… Jamais plus, entends-tu ?
— De gré ou de force, cette… cette… friponne se donnera à moi ! » glapit Arnaud d’une voix métallique, les yeux plissés en amandes, le visage plus blafard qu’un navet. Je crus y discerner une flamme meurtrière et craignis, sur le coup, qu’il ne nous précipitât l’un et l’autre dans la trappe. Mais la lumière était trop diffuse pour que je puisse en jurer.
René se tenait à deux pas, aux aguets, torche dans une main, lancegaye dans l’autre. Je le sentis prêt à intervenir.
« Si c’est de gré, j’en serais fort aise, mentis-je. Si c’est de force, tu auras affaire à moi ! » lui répondis-je en l’affrontant du regard, au risque de perdre le contrôle de mes paroles.
Je respirai profondément pour calmer mon émeuvement. Tout en remerciant la Vierge de Roc-Amadour d’avoir sauvé la vie de Marguerite.
Je serrai dans mes bras ma jolie lingère. Elle pleurait doucement à présent, grelottait et claquait des dents. L’odeur aigre de la peur avait envahi son corps.
Arnaud s’apazima et s’accoisa. Bien lui en prit. Il était grand temps. Michel de Ferregaye avait rouillé le treuil de la vanne. L’écluse s’était refermée et l’eau envahissait à présent les puits. Elle recouvrait la trappe mortelle et parvenait déjà à la hauteur de la première marche de l’escalier.
J’ordonnai de poursuivre le chemin : nous avions perdu assez de temps céans. René nous précéda cette fois. Arnaud lui emboîta le pas, suivi de Marguerite. Je fermai la marche.
Parvenus à la sortie du puits, une plate-forme assez large nous accueillit. Nous reprîmes notre souffle, nous regardant les uns les autres, sans prononcer un mot. Un escalier grand et rectiligne, surmonté d’une belle voûte maçonnée en pierres de taille, nous invitait à aller de l’avant. Je profitai de l’espace pour modifier notre ordre de marche. Dorénavant, je devais passer en tête pour guider ma petite troupe.
J’étais le seul à avoir été initié par le baron aux signes qui jalonneraient notre chemin et nous éviteraient d’errer sans fin dans un dédale de
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