La Marque du Temple
milieu aussi hostile. J’étais mort de fatigue, comme mes compains. Pour d’autres raisons peut-être aussi, que je chassai de mon esprit.
René le Passeur et moi avions déjà goûté le charme de ce genre d’expédition lors de notre évasion du Mont-de-Domme par les souterrains du château de Campréal. René, blessé par une dague inconnue, avait bien failli y laisser la vie. À ma place {xv} .
Mais les difficultés de notre avancée dépassaient l’imagination. Marguerite elle-même semblait en souffrir. Que dire alors d’Arnaud qui, tout à la joie d’avoir échappé au cachot, au pain et à l’eau, n’avait, à ma connaissance, jamais frayé que sur des voies de surface ?
Personne ne se fit prier pour souper avant de prendre une heure ou deux de repos. Nous dévorâmes à belles dents nos premières réserves de vivres : une miche de pain noir, quelques poissons séchés qui nous donnèrent soif. Le sergent d’armes trancha aussi quatre belles tranches de ce délicieux jambon fumé que Louise avait glissé dans son bissac.
Je l’en remerciai et le priai de bien vouloir ne trancher désormais qu’une tranche pour deux. Et de manger le tranchoir de pain. Il me regarda, surpris. “Pourquoi se priver ?” devait-il penser. Marguerite ne broncha pas. Arnaud fut sur le point de protester. Il me regarda fixement un long moment puis, s’adressant à la cantonade, s’écria :
« Du vin ! Du vin ! Et une bourrée ! Puis se tournant vers moi : si notre maître, messire Brachet de Born, le permet ? Bien sûr ! Messire Bertrand ? Le permettez- vous céans ? Avons-nous votre bénédiction ? Ou doit-on passer outre, votre seigneurie ? » persifla-t-il. L’animal se riait de moi, c’était clair comme de l’eau de roche.
« Par Saint-Denis, René, lâche les vannes de ton outre et sers de l’hypocrace avant que messire Arnaud ne tourne de l’œil ! Par le Sang-Dieu, ne le coupe pas ! Je crains qu’il ne le soit déjà ! Par ordre du Baron ! »
Arnaud s’esclaffa à gorge déployée. D’un rire de gorge. Ses yeux ne riaient point. René eut un mince sourire sous sa barbe rousse. Marguerite resta de marbre. Il est vrai que le pain, le jambon et le vin étaient les bienvenus. Ce parcours souterrain avait été bien pénible. Pour les nerfs surtout que nous avions à vif.
« Mais, de grâce, Arnaud, si tu souhaites danser, tu danseras seul. Je crains que notre Marguerite n’ait point le cœur assez en joie pour se prêter à tes espingales… En ce lieu ! »
Je faillis ajouter autre chose. Je me mordis les lèvres et m’abstins d’autres commentaires.
« Que nenni, Bertrand, notre breuvage n’est point de l’hypocrace ! Et il n’est ni clairet, ni coupé ! C’est là bon et grand vin de nos vignobles du Bordelais ! Levons un godet et buvons une santé à l’attention de nos amis godons ! Ils savent vivre, ces gens-là ! Eux au moins, ils savent vivre ! s’exclama Arnaud.
— Je me réjouis de te découvrir des affinités avec nos ennemis, répliquai-je. Mais ce vin n’est point de Bordeaux. Il est des vignobles du Mont-de-Domme. Trop aigre et pas assez de tanin pour avoir été vendangé par les Têtes de bûches.
« Ne connais-tu pas le Mont-de-Domme, Arnaud ? N’y muguetais-tu pas jadis quelque Blanche ? La soi-disant fille d’un consul ? Qu’est devenue cette ribaude, au fait ? Il semblerait que toutes les garnisons d’ici et d’ailleurs aient chevauché cette jument à la croupe fort généreuse, me suis-je laissé dire ?
— Va pour la danse, Bertrand, mais ne gâte point notre plaisir en si joyeuse compagnie ! Qu’importe que ce vin soit du Mont-de-Domme ou du Bordelais ! Il est bon et gouleyant ! Que le Ciel en soit béni ! » Arnaud aurait dû en rester là. Il ne put s’empêcher d’ajouter en levant son godet pour porter une santé au roi Édouard d’Angleterre, troisième du nom :
« Prions le ciel que messire Bertrand n’y ait point versé le contenu de l’une de ses fioles…
— Cette saillie est de bien mauvais goût, Arnaud, lui dis-je consterné, alors que je m’apprêtais à porter la coupe à mes lèvres.
— N’en détiens-tu pas deux ou… trois, de ces fioles empoisonnées ? » me répondit-il, outrecuidant. Je me levai d’un bond, le saisis par la brigandine et le soulevai du sol :
« Me soupçonnerais-tu d’avoir occis le père d’Aigrefeuille ? éructai-je.
— Pourquoi
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