La Marque du Temple
tunnels ou de choir dans quelque autre piège.
Si je venais à disparaître, mes compains ne pourraient ni atteindre le château de Commarque ni regagner la forteresse de Beynac. Ils trouveraient inéluctablement la mort. Après avoir erré des jours durant ou avoir été précipités dans quelque cul-de-basse-fosse, ils mourraient de soif et de faim. Le baron Fulbert Pons de Beynac en avait décidé selon :
“Toi seul dois connaître la signification des symboles qui permettront d’ouvrir la voie. Si d’aucuns te veulent du mal, ils ne tarderont pas à comprendre que toi, et toi seul, pourra les mener à bonne destination. Sains et saufs. Si par malheur, que le Ciel l’en préserve, tu venais à disparaître, il en serait fait de leur vie. C’est peut-être fâcheux, mais c’est ainsi !” avait-il ajouté, selon son expression favorite, lorsqu’il aimait clore l’entretien.
Nous gravîmes les marches. Elles se dérobaient sous mes pieds, tant j’avais le chef ailleurs. Je montai. Comme mes compains sans doute, derrière moi.
Arnaud avait-il tenté de marchander les faveurs de Marguerite en l’acculant au bord du gouffre ? Je n’osai le croire. J’inclinai plutôt à penser l’incident fort malheureux, mais fortuit. Une maladresse de ma petite lingère ? Un pied qui glisse sur la mousse ?
Nous avions pourtant, René et moi, récuré les appuis de part et d’autre du passage. Marguerite aurait-elle tenté de récupérer la torche qu’Arnaud avait laissée choir, quelques instants auparavant ? On ne risque pas les abysses d’un piège pour sauver une torche. Un réflexe innocent ?
Certes, la concupiscence aurait pu inciter mon compain, mon ami, à profiter de la situation pour lui extorquer quelque faveur. Au fond, ne pouvais-je comprendre qu’il fut fasciné et attiré par sa beauté troublante et sauvage ?
Marguerite était terriblement attirante. Non seulement elle avait belle tournure et des formes rondes et appétissantes à faire se paonner un bougre, mais elle ne manquait pas d’esprit ni de sens de la répartie, bien qu’elle n’ait jamais appris à lire ou à écrire. Pouvais-je comprendre qu’Arnaud ne soit pas resté insensible à ses charmes ?
Ne l’avait-il pas dévorée des yeux, il y avait fort longtemps, quand elle avait remis au baron de Beynac, avec moult grâces et non sans trouble, le drap avec lequel il avait recouvert le corps du malheureux forgeron des Mirandes {xiii} ? Était-il jaloux des faveurs qu’elle m’accordait ? N’étais-je pas moi-même jaloux des charmes qu’Arnaud savait déployer, mieux que moi, envers les personnes d’un sexe opposé ?
Ne m’étais-je pas moi-même comporté comme un cuistre lorsque j’avais tenté de la forcer, à la reverdie, un certain printemps ? Je devais reconnaître m’être plus comporté comme un soudoyer que comme un gentilhomme respectueux et courtois, ce jour-là.
Marguerite m’en voulait-elle encore ? Il m’était souventes fois aussi difficile de lire dans les pensées de ces dames que d’interpréter les reflets de l’eau qui stagne au fond d’un puits ou qui court sur les galets de nos rivières.
Je ne comprenais pas toujours ces créatures étranges qui m’attiraient pourtant comme le miel attire les mouches. Par temps d’orage. L’orage grondait en mon chef, mais j’avouai mon impuissance à défaire l’écheveau de la délicate et fragile toile que tissaient les pensées, les réactions et les sentiments de ces gentes dames.
Pouvais-je en vouloir à celui qui était depuis notre enfance mon meilleur ami, d’avoir souhaité que Marguerite lui baille le prix qu’elle lui devait ? Oui. Je lui en voulais. Peut-on négocier un plaisir de chair pour quérir la reconnaissance d’une dette d’honneur ? Que diable, il est d’autres façons de s’en acquitter.
Il ne serait venu à l’esprit d’aucun banquier juif ou marchand lombard de réclamer le prix du plaisir charnel à leurs débiteurs ! Le prix du sang, peut-être. Pas le prix du corps. Peut-on envisager d’offrir son corps et son âme à son sauveur ? Seul Notre-Seigneur Jésus-Christ pouvait requérir telle offrande. Encore ne le proposa-t-il qu’à ceux de ses disciples qui voulurent bien le suivre. Sans élever la voix, sans les contraindre. Et il pardonna au père fondateur de notre Église de l’avoir renié par trois fois.
Certes, Arnaud n’avait rien d’un saint homme. Mais, sauver la vie
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