La Marque du Temple
traditionnelles caractéristiques d’une croix cléchée
Tandis que Marguerite était allongée à même le sol, épuisée et assoiffée (nous n’avions plus d’eau), René et moi avions scruté attentivement les parois et le mur qui nous faisait face, sans déceler le moindre interstice.
Il est vrai qu’à la lumière brunâtre de nos seuls calels, nous n’y voyions goutte. Nous avions allumé nos deux dernières chandelles en suif et les promenions sur la croix. Que nenni. Rien n’en faisait vaciller la flamme imperturbablement droite.
Alors que nous avions envisagé, la mort dans l’âme, de rebrousser chemin et de tenter de forcer le passage qu’Arnaud avait dû emprunter, je m’étais souvenu d’une conversation et d’un jeu auquel nous nous étions livrés trois ans plus tôt, la princesse Échive de Lusignan et moi, en la librairie de la forteresse de Saint-Hilarion. Nous avions évoqué les principes de la rencontre entre l’Être suprême et le Diable, l’équilibre fragile entre les puissances du Bien et du Mal.
Elle m’avait expliqué qu’une secte gnostique de l’Égypte ancienne dont le chef était le philosophe Basilide, désignait l’Être suprême par abraxas. Les Hébreux indiquaient par le verbe dabar l’effort que les hommes devaient faire pour rompre les forces qui nous enchaînaient à la Terre et nous empêchaient de nous élever dans l’Univers.
En pays de chrétienté, nous avions contracté cette formule : abracadabra capterait la force par le haut, à la manière d’un entonnoir reposant sur la pointe. L’on pouvait dessiner sur un parchemin les lettres de ce mot en les inscrivant dans un triangle isocèle renversé.
Joignant le geste à la parole, la princesse avait tracé ce dessin, en supprimant successivement, ligne par ligne, la première et la dernière lettre du mot d’origine.
“Porté en amulette autour du col, ce talisman est, selon la légende qui l’entoure, sensé guérir de la fièvre de Jérusalem. Mais ce serait aussi un sauf-conduit pour rencontrer le Diable. C’est la raison pour laquelle, mon père a toujours refusé de le porter !” m’avait-elle déclaré en s’esbouffant à gueule bec.
Depuis lors, j’avais en effet souvent vu les jeunes pages que le baron de Beynac avait recrutés se livrer à ce jeu de devinette pour que le mot abracadabra apparaisse sur les trois côtés du triangle. L’idée m’était alors venue d’appuyer sur le centre des petits cercles qui ornaient les extrémités de la croix occitane gravée dans la pierre, dans le fol espoir de faire jouer une mécanique secrète.
Mais, l’air commençait à manquer. Saoûls de fatigue, le gosier atrocement sec, le corps sueux malgré la fraîcheur qui régnait dans la crypte, nous allions devoir renoncer.
En désespoir de cause, dans une ultime tentative, nous avions conjugué nos efforts en appuyant tous les trois ensemble en plusieurs points de la croix. Le miracle ne s’était produit que lorsque René avait appuyé fortement en son centre, point de convergence des quatre triangles. Il correspondait sans nul doute possible, à la lettre “A” de chaque entonnoir formé par les triangles isocèles du mot abracadabra.
La partie inférieure de la croix avait cédé sous notre pression et pivoté sur un axe central, libérant un passage qui débouchait sous l’autel de la chapelle Saint-Jean, dans un couloir voûté fermé à l’une des extrémités par une lourde porte de chêne cloutée et verrouillée, et par une herse restée relevée de l’autre côté. Nous avions pénétré à l’intérieur de l’enceinte. Nul garde n’était aposté. Nous nous étions glissés par une petite poterne latérale à l’intérieur de la chapelle. Aucune présence : point d’office, point de chapelain, point de bigot.
Nous nous étions regardés ébahis, avant de rire, soulagés : l’ouverture formait un triangle parfait que nous avions promptement refermé sitôt l’avoir franchi.
Envahi par une douce langueur, apazimé et serein, je humai les subtils parfums de cette journée d’été. La fatigue eut vite raison des tensions de ces épouvantables journées.
Je m’assoupis et me laissai bercer par la main d’une fée. Elle me caressait les joues, le col, les épaules à l’aide d’une éponge aussi douce que le duvet d’une oie sauvage.
Le duvet effleurait ma poitrine, glissait sur mon ventre avant
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