La Marque du Temple
fièvre tierce.
— Le bain l’aura sans doute dissipée… à moins que votre intrusion pour le moins incongrue n’en soit la cause, mon beau sire. Ce que l’on m’avait conté sur vous est en-dessous de la vérité : vous avez plus belle prestance que je ne m’y attendais », me répondit-elle en se tournant vers moi alors que la servante ceinturait sa chemise et mettait encore plus en valeur, s’il était besoin, les formes voluptueuses et sensuelles de celle qui était, à l’évidence, une grande dame.
Je parvins, non sans grande difficulté, à détacher mon regard émerveillé de la vue de ce corps qui me fascinait, croisai les mains dans le dos et captai ses yeux droit devant. Elle ne cilla pas, le soutint longuement, trop longtemps pour mon goût, comme si elle me jaugeait à présent.
Un visage dur, bien que non dépourvu de grâce, des pommettes hautes, des lèvres charnues, un nez aquilin, un front dégagé et des yeux qui me semblèrent immenses et noirs, fendus en amande, sous des sourcils finement dessinés. Des yeux dont je ne pouvais alors distinguer la couleur de l’iris dans la pénombre.
Je glissai un pas de côté. Elle fit de même, de sorte que je recevais toujours de face la lumière qui filtrait à travers la persienne et qu’elle restait exposée à contre-jour. Il me sembla toutefois percevoir dans ses pupilles un éclat plus ardent que la braise.
« Annette, ma robe à présent ! » dit-elle avec un calme déconcertant en s’adressant à sa servante qui me tirait une gueule de six pieds de long.
La maigrichonne Annette formait avec sa maîtresse un étrange contraste. Totalement désemparée, elle s’activa avec brusquerie, lui sécha les cheveux, l’installa sur un tabouret et lui tressa deux couronnes qu’elle releva à la mode antique et fixa au-dessus de la nuque par quelques broches d’or et d’argent en forme de clous de girofle.
Éléonore de Guirande ne me quittait pas des yeux. La pièce occupait toute la surface d’un étage au dernier niveau du donjon. Sur un côté, des corbeaux soutenaient un magistral trumeau en pierre au-dessus de l’âtre de la cheminée.
Au milieu d’icelui, je redécouvris les armes écartelées des Guirande et des barons de Beynac, ciselées dans la pierre.
Une douce fraîcheur régnait dans la pièce. Elle n’expliquait pas la légère suance qui s’escumait sur mon front. Face à la cheminée, un grand lit à baldaquin revêtu d’un coutil de soie, richement brodé.
Assorties au coutil, des tapisseries pendaient aux murs. Des vénus et des cupidons se livraient un combat figé. Sur d’autres pans, des scènes de fauconnerie ou de chasses à courre. Près du fenestrou, une table de travail sur laquelle se languissaient un pot, deux échoppes en étain, trois gobelets et, dans un vase, plusieurs roses rouges et blanches s’élançaient au-dessus de leur tige épineuse. Quelques pétales jonchaient le sol. De gueules et d’argent.
Un faudesteuil à haut dossier trônait devant un lutrin. Sur la partie fixe et horizontale du meuble, des parchemins enroulés, un encrier en corne et un petit cotel pour tailler les nombreuses plumes dont certaines étaient soigneusement rangées dans un tiroir resté ouvert.
De part et d’autre de la porte par laquelle j’étais entré, deux bahuts de forte dimension étaient richement décorés de motifs champêtres dans des tons de couleur pastel.
L’un des coffres, dont le couvercle était rabattu contre le mur, laissait entrevoir les riches atours de la maîtresse des lieux. Sur le couvercle de l’autre, reposaient plusieurs codex et quelques rouleaux de parchemin.
En face, une autre porte donnait sur le cabinet de commodité. Dans un angle de la chambre, je vis une harpe et un chalumeau à anche ; dans un autre, un luth et une vielle.
Sur une petite table, un splendide coffret en bois incrusté de pierres précieuses, marqueté d’ivoire et de bois d’ébène, s’ouvrait sur plusieurs plateaux et compartiments de jeux, finement polis et assortis d’un grand nombre de jetons : échecs, dames, mérelles, glic, tourniquet, cartes…
Le sol de la chambre était jonché de feuilles de tenaisie, de baillet et de lavande pour chasser les puces et parfumer l’air. De cette pièce agréablement fraîche, il se dégageait une impression de confort feutré, un léger parfum d’encens, terriblement et dangereusement envoûtants.
Et point de puces, me sembla-t-il.
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