La Marque du Temple
cent quatre-vingts livres, se briseront dans un craquement sinistre, le rythme de ton cœur ralentira. Ses pulsions seront juste suffisantes pour laisser perler le sang qui sortira de tes oreilles et de ton nez, puis tu perdras la conscience et la connaissance des choses : tu seras entre la vie et la mort.
« Le huitième jour, je préfère ne pas t’en parler. L’idée du supplice que tu endureras me soulève le cœur, que j’ai pourtant solidement accroché.
« Tu auras parlé avant la fin du neuvième jour, sinon, tu seras mort comme une limace qu’on broie lentement sous sa botte, dans une mare de merdouille et de pissats, après avoir enduré d’atroces souffrances que tes plus folles pensées ne peuvent encore imaginer ce jour d’hui.
« Chaque soir, avant vêpres, je viendrai te poser trois questions. Trois questions seulement :
“Julien Liorac, est-ce toi qui a décoché le carreau d’arbalète sur moi ?”
“Si ce n’est pas toi, sais-tu qui a exécuté cette tentative de
meurtre sur ma personne ?”
“Connais-tu le nom de celui qui l’a ordonnée ou commanditée ?”
« À toi de choisir. Ou bien t’accoiser et mourir dans de lents et épouvantables tourments ou bien parler pour être délivré incontinent du supplice de la pierre.
« Dans ce cas, tu resteras enfermé dans ce cachot jusqu’à l’arrivée du baron de Beynac. Si tu choisis la voie de la sagesse, tu auras la vie sauve. Je m’engage sur mon honneur de gentilhomme à demander ta grâce au baron pour t’éviter la pendaison, la décolation ou le supplice de la roue. Il ne peut me la refuser puisque je fus la victime. Réfléchis, ne me réponds point sur l’heure. À tantôt. »
Comme fasciné par cette vision morbide, je ne pouvais détacher mon regard du corps sanguinolent et desfacié du supplicié. Ses doigts et ses orteils avaient été brisés puis proprement sectionnés.
Son visage était maculé de bave, de salive rougeâtre et de vomissures. Un de ses yeux avait été magnifiquement dégagé de son logement avec la précision d’un physicien, ses oreilles tranchées, ses joues et son front écorchés vifs. Écrasé sous une pression de près de deux cent soixante livres, ce qu’il restait de ses membres pissait le sang. L’orbite qui avait recueilli son œil saignait abondamment. Personne ne pouvait survivre à un tel supplice.
Nous crûmes l’homme mort. Il souleva une paupière. Je me penchai et tendis l’oreille, à frôler sa bouche exsangue. Voulait-il avouer avant de rendre son dernier souffle ? Me donner le nom de son tourmenteur ? Il parvint à articuler deux mots, tout bas :
« Confesse… Chapelain… »
L’homme était résistant. La vie à la campagne, peut-être ? Raoul d’Astignac se tenait toujours les côtes à deux mains et raquait à tout va dans un recoin de la cellule. Il ne l’entendit pas. Je lui commandai d’aller quérir le chapelain incontinent et vite. Il ne se fit pas prier.
Le malheureux remuait imperceptiblement les lèvres. J’ôtai doucement les terribles masses de pierre qui opprimaient sa poitrine pour adoucir ses ultimes souffrances et aussi, je dois l’avouer, pour le maintenir en vie, le temps de recueillir sa confession.
Car je prends Dieu à témoin que je n’avais onques imaginé de conduire le supplice de ce soudard au-delà du troisième ou du quatrième jour. Je m’étais arrogé le rôle de tourmenteur, mais non point celui de bourreau.
Seul le responsable de la tentative d’assassinat sur ma personne ou un complice avait pu l’exécuter pour tenter de lui arracher des informations, savoir s’il avait parlé.
Il ne faisait aucun doute, à mes yeux, qu’après avoir appris l’arrestation de Julien Liorac, on avait voulu savoir si l’homme avait trahi et livré des noms.
Le chapelain surgit dans le cachot. Le capitaine d’armes était resté sur le seuil. Averti de l’état du supplicié, l’homme d’Église réussit, non sans un violent haut-le-cœur, à vaincre la répulsion qu’il lui inspirait, fit le signe de la Croix, passa son étole autour du col et s’approcha de lui.
Je m’approchai aussi pour tenter de capter les dernières paroles de Julien Liorac. Le chapelain me foudroya du regard et me repoussa de la main en m’intimant :
« Le malheureux veut se confesser. Laissez-nous seuls, messire Brachet ! »
Dépité, je ne pus que m’incliner. Si le curé apprenait sous le
Weitere Kostenlose Bücher