La Marque du Temple
obligé de répondre à ses questions à chaque fois qu’elle gagnerait une partie.
En effet, mes conversations avec icelle m’avaient permis de progresser dans mon enquête aussi vite que la piétaille d’un ost d’arrière-ban lorsqu’elle reçoit, alors qu’elle vient d’essuyer deux ou trois grêles de flèches, l’ordre de tenir la position face à un échelon de chevaliers de fervêtus, lancés au galop, lances couchées.
C’est ainsi qu’un jour où elle avait opposé un mutisme complet à toutes mes questions, je fus amené à lui proposer de la défier sur d’autres terres :
« Ma Dame, je vois sur cette table un bien beau coffret, finement ciselé et incrusté d’ivoire, contenant moult beaux plateaux de jeux et nombreuses pièces qui se languissent et ne demandent qu’à prendre vie entre vos doigts.
« N’auriez-vous pas plaisir à me laisser vous défier au jeu de la vérité et à relever le gant que je vous lance en toute courtoisie. Aux échecs, par exemple ? Sauf à vous de ne pas maîtriser les stratégies complexes de ce jeu subtil ? » tentai-je malicieusement.
Elle fut piquée au vif et, contrairement à toute attente, elle trouva l’idée bonne, très bonne. Sans doute pensait-elle montrer plus d’adresse que moi en ce genre d’affaires. En revanche, elle refusa d’être astreinte au port de la mitre renversée s’il advenait qu’elle perdît quelque partie.
Les raisons de ce refus, je ne devais les comprendre que quelques jours plus tard : en étaient coiffés les hérétiques et les relaps condamnés à la mort par le feu, vifs, ou après avoir été étranglés s’ils avaient abjuré leur foi après le prononcé de la sentence par les tribunaux de l’inquisition.
Je ne devais pas tarder à me rendre compte qu’en me suggérant ce déduit qui n’avait rien d’amoureux, Marguerite m’avait ouvert les portes des mystérieux secrets que la belle dame gardait jalousement enfouis au plus profond de son esprit. Et qu’elle n’aurait onques révélé d’autres façons.
Car elle se prit au jeu et je pense avoir su l’y amener adroitement. Que Dieu me pardonne ce léger péché d’orgueil. Les révélations qu’elle me fit au fil du temps dépassèrent de cent lieues mes espoirs les plus fols.
Je dus accepter une partie de mérelles. Lorsque je lui avais proposé une partie d’échecs, en doutant ouvertement de ses talents, elle avait été blessée dans son amour-propre. Par simple esprit de contradiction, bien féminin au demeurant me sembla-t-il, la baronne ne put s’empêcher de suggérer une partie de mérelles pour débuter le jeu.
La mine chafouine, je lui déclarai tout ignorer des règles de ce jeu. Ce qui était vrai. Je feignis en revanche d’accepter à la condition de pouvoir prendre ma revanche sur un eschaquier, bien que, de ce jeu étrange, je lui avouai ne guère maîtriser plus que le simple déplacement des pièces.
Ce qui était faux. Enfin, relativement inexact : bien que n’étant pas passé grand maître en cet art, je caressai l’espoir de vaincre aisément cette femelle séduisante et orgueilleuse, à l’esprit redoutable.
Elle me soupesa d’un regard lourd de sous-entendus, esquissa un vague sourire et accepta de se soumettre à mes exigences.
J’appris les règles du jeu de mérelles, encore appelé jeu de glic, du jeu des dames et du jacquet tout en me gardant de proposer une partie de cartes.
Bien que j’eusse été initié par la princesse Échive à plusieurs variantes de ces nouveaux jeux de cartes, devenus à la mode dans le royaume, j’entendais en conserver les secrets pour plus tard si, trop confiante en elle-même, sa vigilance se relâchait : elle tomberait alors inexorablement dans les mailles de mon filet, lorsque je déciderais de poursuivre la joute, soit aux cartes soit aux échecs, pensai-je ingénument.
Nous disputâmes ainsi plusieurs parties de mérelles pour son seul plaisir. Je perdis la première partie. Puis la seconde. Puis une troisième. Le moulin se refermait toujours sur le dernier paonnet que je tentais désespérément de soustraire aux ailes diaboliques de la châtelaine. Elle se révélait d’autant plus adroite à ce jeu qu’elle engageait le premier déplacement des pièces.
J’en vins à douter de mes capacités à m’adapter à une situation nouvelle. Jusqu’à ce que j’eusse compris que l’avantage revenait toujours au joueur qui ouvrait la
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