La Marquis de Loc-Ronan
un nom illustre, séduisit complètement son gardien et devint sa maîtresse !
– La misérable ! murmura Marcof.
– Attendez donc, mon cher ; elle avait un plan tout tracé d’avance en agissant ainsi, et ce plan, elle le mettait à exécution. Il est probable qu’elle ne comptait plus depuis longtemps ses amants, et qu’un de plus ou de moins lui paraissait chose insignifiante. Donc, ainsi que je vous le disais, elle se donna à La Rouairie dans l’espoir de parvenir à s’évader en abusant de son empire sur le cœur de ce malheureux dont le corps était affaibli par les souffrances. Elle allait, par ma foi, y réussir, lorsque j’arrivai subitement à La Guiomarais. C’était quelques jours avant la mort de La Rouairie. Je vis promptement le manège de la dame ; j’en parlai à notre ami ; mais lui, aveuglé par la passion, me répondit que j’étais dans l’erreur, et que sa prisonnière était la plus belle et la meilleure des créatures de Dieu. J’insistai inutilement, il ne voulut rien entendre. J’offris des preuves, il ne voulut pas ouvrir les yeux. Alors j’avisai à employer un moyen violent. Le soir même, je fis enlever la marquise, et je la conduisis moi-même à La Roche-Bernard, où Cathelineau était établi. Celui-là, pensais-je, ne se laissera pas facilement séduire. Eh bien ! savez-vous ce qu’elle fit ? Elle séduisit un rustre, vrai paysan grossier qui la gardait à vue, et, grâce à cet homme, elle parvint à fuir.
– Horrible créature ! s’écria Marcof ; et elle prostitue ainsi le nom sans tache des Loc-Ronan !
– Écoutez donc encore ! À peine libre, elle alla trouver un général républicain, lui révéla la cachette de La Rouairie, et lui promit de le conduire à La Guiomarais.
– Elle le fit ?
– Sans doute. Malheureusement pour elle, La Rouairie était mort ; mais on découvrit son cadavre, mais on fouilla le château, et l’on trouva un bocal dans lequel étaient enfermés les doubles de nos plans et le nom de tous les chefs royalistes. Grâce à cette misérable, notre cause fut à deux doigts de sa perte.
– Et qu’est-elle devenue ?
– Je l’ignore.
– Elle vit sans doute à Paris au milieu des saturnales révolutionnaires ?
– Je ne crois pas, car dernièrement Cormatin m’a envoyé le signalement d’une femme qui lui ressemblait d’une façon miraculeuse.
– Et cette femme ?
– Cette femme venait de traverser Rennes dans la voiture de Carrier.
– Si cela est, nous la verrons à Nantes.
– Prenons garde surtout qu’elle ne nous voie, répondit Boishardy en souriant.
Puis changeant de ton :
– Maintenant, continua-t-il, maintenant que je vous ai dit ce que je savais, apprenez-moi à votre tour ce que Philippe est devenu pendant ces deux années que nous venons de parcourir.
– Mon récit sera court ; moi-même je n’ai pas revu le marquis depuis qu’il s’est fait passer pour mort.
– Alors, comment avez-vous su qu’il était prisonnier à Nantes ?
– Par mademoiselle de Château-Giron.
– Sa seconde femme ?
– Oui.
– Un ange de bonté, dit-on.
– Et l’on a raison de le dire.
– Où est-elle ?
– À bord de mon lougre.
– Depuis longtemps ?
– Depuis six semaines.
– Racontez vite, mon cher Marcof ; tout cela m’intéresse au dernier point.
– Philippe, vous le savez, commença Marcof, séjourna quelque temps en Angleterre, et de là passa en Allemagne. Il demeura dix-huit mois enfermé dans un petit village sur les bords de la Moselle, à trois lieues de Coblentz, espérant toujours que la cause du roi étoufferait la Révolution. Il n’en fut point ainsi, malheureusement. Chaque jour les nouvelles arrivaient plus sinistres. Chaque jour on parlait des guerres qui désolaient la Vendée et la Bretagne. Enfin, la mort du roi vint jeter la consternation parmi les véritables amis du trône. Dès lors, Philippe ne fut plus en proie qu’à une idée fixe : c’était qu’en demeurant inactif il manquait à ses devoirs de gentilhomme, à la foi jurée, au sang de ses ancêtres. Ses amis se battaient ici, et lui était en Allemagne ; son inaction lui semblait criminelle. Le pauvre ami ne pensait plus qu’à nous. Il avait pris, vous le savez encore, un nom supposé. Ne voulant pas voir se renouveler les tortures qui l’avaient si cruellement assailli naguère, il renonçait à son titre même, espérant être ainsi à l’abri des
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