La Marquis de Loc-Ronan
il existe une main pour châtier les coupables. Cette main sera la vôtre, et jamais une main plus loyale n’aura accompli un acte de justice. Je vais vous confier la vie entière de Philippe, et je n’ajouterai même pas que je m’adresse à votre honneur.
Marcof prit une liasse de papiers qu’il avait déposée près de ses armes en entrant dans la pièce. C’étaient les manuscrits qu’il avait trouvés dans l’armoire de fer du château de Loc-Ronan. Marcof le Malouin les déposa sur la table devant Boishardy.
– Lisez cela, dit-il, je vous raconterai le reste ensuite.
Et le marin, laissant son compagnon qui déjà feuilletait les papiers avec une curiosité ardente, sortit à pas lents de la cabane, et se dirigea vers le côté opposé du placis. Fleur-de-Chêne était près de l’autel improvisé. Marcof l’appela.
– Où est Jahoua ? lui demanda-t-il.
– Dans la cabane de Mariic, là sur la droite, répondit le chouan en désignant du doigt la petite maisonnette dans laquelle venait de pénétrer Keinec.
Marcof en gagna l’entrée et en franchit le seuil. Il trouva les deux jeunes gens ensemble, et causant tous deux les mains dans les mains, comme deux frères.
– Je vais à Nantes, disait Keinec au fermier ; je vais à Nantes, et Nantes est la seule ville de Bretagne dans laquelle nous n’ayons pas encore pénétré.
– Tu espères donc toujours ? répondit Jahoua.
– Dieu est bon, et sa puissance est infinie !
– Bien parlé, mon gars ! dit Marcof en entrant.
Et, approchant un siège du lit du malade, il s’assit à son chevet.
V – LES AMIS DE PHILIPPE DE LOC-RONAN
Vers dix heures du soir, Marcof quitta la cabane de Mariic, et regagna la demeure de Boishardy. Lorsqu’il y pénétra, le chef des chouans se promenait avec agitation dans la petite pièce.
– Je vous attendais avec impatience, dit-il en voyant entrer le marin.
– Vous avez lu ? répondit Marcof en désignant le manuscrit.
– Oui.
– Eh bien ?
– Je savais, ou du moins je supposais depuis longtemps une partie de ces mystères.
– Comment cela ?
– J’étais à Rennes jadis, lorsque Philippe épousa mademoiselle de Château-Giron, de laquelle j’ai l’honneur d’être un peu parent, et j’assistai à leur union en qualité de témoin. Je sus plus tard qu’elle s’était retirée dans un couvent, et j’avais d’abord attribué cette résolution à quelque chagrin de ménage, chagrin dont j’étais tout d’abord fort loin de supposer la cause épouvantable. Enfin, lorsqu’il y a deux ans passés, le soir même où vous nous apprîtes, à La Bourdonnaie et à moi, que le marquis n’était pas mort, j’entendis la femme que nous avions arrêtée se parer du titre de marquise de Loc-Ronan ; une partie de la lumière se fit à mes yeux, bien que je ne pusse croire que cette aventurière dît vrai et eût droit au noble nom sous l’égide duquel elle se plaçait.
– Elle avait droit cependant à ce titre qu’elle prenait.
– Le croyez-vous ?
– Philippe l’avait épousée !
– Sans doute ; mais il y a là dedans quelque étrange mystère.
– Qui vous le fait penser ?
– La conduite de cette femme.
– Vraiment ?
– Oui : une femme de qualité, une demoiselle de Fougueray, aurait tenu autrement son rang.
– Comment cela ? Je ne comprends pas.
– C’est fort simple. Vous savez que je l’avais fait diriger sur le château de La Guiomarais ?
– Oui.
– Vous n’ignorez pas non plus que c’est dans ce château que La Rouairie vint mourir ?
– Je le sais.
– Donc cette femme s’est trouvée forcément en rapport avec lui.
– Eh bien ?
– Vous ne devinez pas ? La Rouairie était aussi ardent auprès des belles que courageux au milieu du feu ; aussi intrépide en amour qu’au combat. Notre malheureux ami vit cette demoiselle de Fougueray et la trouva charmante. Le fait est qu’elle était à cette époque véritablement fort jolie. Quoique n’étant plus de la première jeunesse, elle avait conservé cette grâce attrayante et luxuriante, ce je ne sais quoi enfin qui fait la puissance de la courtisane. Elle s’aperçut facilement de l’effet qu’elle avait produit, et elle en profita avec une habileté et une coquetterie infernales. J’étais alors en Vendée, La Rouairie était seul, et, comme toujours, il se laissa dominer par ses passions. Bref, vous le devinez, cette femme, cette marquise qui portait
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