La Marquis de Loc-Ronan
stupéfait, tandis que Marcof faisait un geste d’étonnement.
– Je dis qu’il vous faut prendre un autre confident, fit le jeune homme d’un ton ferme.
– Pourquoi ?
– Je vais vous le dire, commandant.
Et Keinec s’approcha solennellement des deux hommes.
– Vous venez de me confier que vous alliez à Nantes ? dit le jeune homme d’un ton respectueux mais parfaitement ferme et déterminé.
– Oui, mon gars, répondit Boishardy en regardant avec étonnement son interlocuteur.
– Avec Marcof ?
– Oui encore.
– J’irai avec vous.
– Toi !
– Sans doute. Vous allez dans la caverne de Carrier, comme vous le dites vous-même. Il y a dix-neuf chances sur vingt pour que vous vous laissiez emporter par votre indignation, et que vous soyez menacés. Un bras de plus aide toujours. Acceptez le mien.
Boishardy regarda Marcof. Keinec surprit ce coup d’œil, et saisissant la main du marin :
– Marcof, lui dit-il, tu sais si je te suis dévoué, si je t’aime, si je te suis fidèle ? Eh bien ! tu vas à Nantes accomplir quelque grand acte de courage, quelque sublime œuvre de dévouement, j’en suis sûr. Je ne le sais pas, mais je le devine. D’ailleurs, je ne demande pas ton secret ; garde-le. Que m’importe ? Ne me dis rien ; seulement ne repousse pas ma prière. Laisse-moi t’accompagner ! Sers-toi de moi comme le chef se sert du soldat, comme le maître se sert du chien. J’obéirai à tes moindres ordres, je te le jure, sans même essayer d’en soupçonner le but, si ce but est un secret que je doive ignorer. Mais tu vas risquer ta vie, je veux aller avec toi ! Je le veux et je le ferai !
– Et si je te refusais, moi ? fit Boishardy.
– Si je t’ordonnais de rester au placis ? ajouta Marcof.
– Vous auriez tort, répondit Keinec d’un ton toujours respectueux, mais plus fermement résolu encore ; car je suivrais vos pas malgré vous ! Je désobéirais ! Je vous ai toujours bien servi, monsieur de Boishardy. Je t’ai toujours regardé comme un chef, comme un père respecté, Marcof. Tu m’as vu à l’œuvre, et vous savez que vous pouvez compter tous deux sur mon entier dévouement ; ne me repoussez pas, je vous le répète. Emmenez-moi avec vous, je vous en conjure. Laissez-moi combattre à vos côtés, triompher près de vous ou mourir avec vous. Avant de servir la cause du roi, je veux servir la tienne, Marcof. C’est mon droit, et vous ne pouvez le méconnaître. D’ailleurs, je n’ai jamais rien demandé pour les services que j’ai pu rendre jusqu’ici. Pour prix de mon sang prodigieusement versé, je n’exige rien que la faveur de vous suivre. C’est la première et la seule grâce que j’aie sollicitée. Encore une fois, je vous en conjure, je vous en supplie, accordez-la-moi.
Keinec s’arrêta. En parlant ainsi, il s’était avancé encore, et fléchissait le genou devant les deux chefs. Son regard, plus éloquent que ses paroles, adressait une muette prière et dénotait l’émotion qui s’était emparée de son cœur. On sentait que le jeune homme, profondément impressionné, exprimait simplement ce qu’éprouvait son âme. Puis à côté de cette simplicité de langage se devinait une résolution de fer que l’on aurait pu briser peut-être, mais qu’à coup sûr on n’aurait pas fait plier. Boishardy et Marcof se regardèrent de nouveau. Le premier fit un léger signe de tête. Marcof posa la main sur l’épaule de Keinec.
– Sois prêt cette nuit à trois heures ; nous partirons ensemble, lui dit-il enfin.
– Merci ! s’écria le jeune homme.
Et Keinec, réunissant dans les siennes les mains des deux hommes, les porta chaleureusement à ses lèvres. Puis, relevant la tête avec fierté, il salua et sortit.
– Si j’avais dix mille gars semblables à celui-ci, s’écria Boishardy lorsque le jeune homme se fut retiré, j’accomplirais ce que Cathelineau n’a pu faire avec soixante mille et nous marcherions sur Nantes bannière au vent.
– Je crois qu’à nous trois nous ferons bien des choses, répondit Marcof.
– Je le crois aussi.
– Maintenant, reprit le marin, maintenant, mon cher Boishardy, que tout est convenu entre nous et que vous allez risquer votre vie pour sauver celle du marquis de Loc-Ronan, il faut que vous connaissiez un secret que je vais vous confier.
– Pourquoi ?
– Parce que, si Philippe vient à être massacré, si je suis tué aussi, il faut qu’après nous
Weitere Kostenlose Bücher