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La Marquis de Loc-Ronan

La Marquis de Loc-Ronan

Titel: La Marquis de Loc-Ronan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ernest Capendu
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le Vendéen s’arrêta quelques secondes et cria à haute voix du haut de la charrette :
    – Vive le roi !
    À ce cri, poussé d’un ton fermement accentué, des vociférations, des menaces, des hurlements inintelligibles répondirent de toutes parts. Marcof et Boishardy se retournèrent d’un même mouvement vers Keinec, et lui mirent la main sur la bouche. Le chouan allait crier aussi. Fort heureusement que ce double geste échappa aux nombreux spectateurs qui les entouraient.
    – Tais-toi ! dit Marcof à voix basse. Tais-toi ! tu nous perdrais sans profit pour personne.
    – Oh ! les infâmes ! les lâches ! murmura le jeune homme. Mais, vois donc ! il y a une femme et un vieillard dans la seconde voiture !
    – Nous ne pouvons les sauver ! Songe à ce que nous avons à faire !
    – C’est bien ! je me tais ! mais…
    Et Keinec détourna ses regards sans achever la phrase commencée, grosse de promesses terribles que le jeune homme comptait mettre à exécution. Brutus l’observait du coin de l’œil.
    – Tout ça, murmura le sans-culotte, c’est du gibier de guillotine, j’en réponds ; on verra tout à l’heure, et on saura ce qu’il en revient de vouloir étrangler un soldat de la compagnie Marat.
    Brutus allait probablement communiquer ses observations à ses voisins, lorsque des cris joyeux retentirent sur la place. La première tête venait de rouler. C’était celle du Vendéen. Le peuple applaudit. Puis ce fut le tour de l’artisan et les bravos retentirent tout aussi nombreux.
    Les deux autres victimes qui restaient encore dans la seconde charrette étaient, ainsi que l’avait dit l’ami de Marcof, une femme et un vieillard. Le vieillard pouvait avoir soixante-dix ans. Ses cheveux blancs flottaient en désordre autour de sa tête vénérable. Il semblait calme et résigné. La femme, jeune encore et fort jolie, était vêtue d’un peignoir de mousseline blanche, seul vêtement qu’on lui eût laissé, malgré la rigueur de la saison. Elle paraissait en proie à une terreur folle. Ses yeux égarés, ses traits bouleversés, les contractions nerveuses de sa bouche indiquaient que la malheureuse sentait sa raison vaciller à l’approche du moment fatal. Quand elle monta sur l’échafaud, le vieillard la soutint. Elle devait mourir la première. La pauvre femme se débattait et poussait des cris affreux. Les aides du bourreau s’approchèrent d’elle pour l’attacher. Alors son peignoir se déchira, et la malheureuse demeura presque entièrement nue, exposée aux regards de la populace. De tous côtés ce furent des exclamations, des rires cyniques, des paroles obscènes, des quolibets grossiers. Les misérables ne respectaient pas même la mort.
    – Est-elle belle, cette aristocrate de malheur ! s’écria Brutus dont les yeux étincelaient.
    – En v’là des épaules de satin ! répondit un autre.
    – Eh hop ! son affaire est faite ! dit un troisième en voyant tomber la tête de la belle jeune femme.
    Boishardy ne put retenir un mouvement de dégoût. Il détourna la tête pour ne pas assister aux exécutions suivantes. Les charrettes se vidèrent rapidement, et les derniers bravos de la foule s’éteignirent avec la voix de la dernière victime. Quatorze innocents venaient de périr.
    – La farce est jouée quant au rasoir ! s’écria Brutus. Maintenant en avant la baignoire nationale et les déportations verticales !
    Puis, se retournant vers Boishardy :
    – Dis donc, citoyen, continua-t-il, toi qui arrives à Nantes, faut que tu viennes avec nous pour assister à la fête : « Troisième représentation ! »
    – Nos chevaux sont fatigués, répondit sèchement le royaliste.
    – Mets-les à l’écurie. Tiens, voilà l’aubergiste des Vrais-Sans-Culottes ; tu y seras comme un coq en pâte, toi, tes chevaux et tes amis.
    En parlant ainsi, Brutus désignait une espèce de cabaret dont l’enseigne représentait une guillotine avec cet exergue : « Au Rasoir national. » Puis, au-dessous, en lettres énormes : «  Ici on s’honore du titre de citoyen ! » (sic).
    La foule commençait à s’écouler et se dirigeait vers les quais. Boishardy regarda Marcof.
    – Allons avec eux, dit le marin ; sans cela ces misérables nous soupçonneraient ; et puis peut-être nous donneront-ils des renseignements utiles.
    – Conduisons nos chevaux à l’auberge, alors.
    – Volontiers.
    Boishardy se retourna vers

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