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La Marquis de Loc-Ronan

La Marquis de Loc-Ronan

Titel: La Marquis de Loc-Ronan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ernest Capendu
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républicains . » On entendait des gémissements sourds et des prières interrompues, des cris d’enfants et des pleurs de femmes. Des torches, agitées au milieu des piques et des baïonnettes, éclairaient ce désolant spectacle.
    – Tiens ! v’là Robin ! dit Brutus en accostant un sans-culotte. Bonsoir, vieux ! comment ça va ?
    – Ça va bien, et ça va aller mieux, répondit Robin qui était l’un des chefs des noyeurs.
    – Tu vas leur faire faire un tour au château d’Aulx, à ces brigands d’aristocrates ?
    – Ah ! fameux le calembourg ! cria Robin en éclatant de rire. Est-il drôle, ce Brutus !
    Pour comprendre ce spirituel jeu de mots, il faut savoir que le château d’Aulx est le nom d’une petite forteresse située près de Nantes. Château d’Aulx (château d’Eau), le calembourg n’eût été réellement pas trop mauvais s’il n’avait été fait dans des circonstances aussi atroces. À partir de ce jour, le mot de Brutus fit fortune et fut répété aux prisonniers qui croyaient souvent être transférés dans une autre prison lorsqu’ils marchaient au supplice.
    – Dis donc, Brutus, continua Robin en riant toujours.
    – Quoi ?
    – On a rendu un décret au Comité aujourd’hui.
    – Bah !
    – Et un fameux, encore.
    – Qui l’a rendu ?
    – Grandmaison.
    – Et quoi qui dit, ce décret ?
    – Il dit qu’on « incarcérera tous ceux qui ont voulu empêcher ou entraver le cours de la justice révolutionnaire en sollicitant pour leurs parents et amis qui sont à l’entrepôt » (historique).
    – Fameux ! fameux ! nous allons avoir de la besogne !
    Pendant ce temps, les prisonniers descendaient toujours.
    On voyait des femmes tenant dans leurs bras des enfants à la mamelle ; de temps en temps quelques-unes de ces malheureuses criaient avec désespoir :
    – Une mère !… une mère pour mon pauvre enfant.
    Quelquefois deux mains charitables s’avançaient entre les baïonnettes, la mère jetait son fils ou sa fille et continuait sa marche, sans savoir seulement à qui elle avait légué son enfant. Enfin les derniers parurent, et la haie des soldats se referma sur eux. Marcof, Boishardy et Keinec frémissaient d’horreur. Brutus et ses amis les entraînèrent à la suite du cortège qui se dirigeait sur les quais. Chemin faisant, Brutus leur expliqua en détail ce que c’était que les déportations verticales. Le misérable égayait ses discours de quolibets et de jeux de mots ; il revendiqua même l’honneur d’avoir, avec Pinard et Chaux, présenté à Carrier la motion concernant les exécutions de la place du Département.
    – Au reste, dit-il en parlant des noyades, la Convention a approuvé les idées du citoyen représentant ; et la preuve, c’est qu’elle lui a expédié un envoyé du Comité de salut public.
    – Et comment se nomme cet envoyé ? demanda Boishardy.
    – Fougueray, répondit Brutus.
    – N’est-ce pas un homme de taille moyenne, un peu gros et pouvant avoir cinquante ans ? fit Marcof d’une voix parfaitement calme.
    – Tiens ! tu le connais donc ? répondit le sans-culotte.
    – Mais oui, et tu serais bien aimable de me faire trouver avec lui.
    – C’est facile.
    – Quand cela ?
    – Ce soir, si tu veux.
    – Je ne demande pas mieux.
    – Eh ! après la fête, nous irons chez Nicoud vider une bouteille, et je l’enverrai chercher ; je sais où le trouver.
    Marcof serra le bras de Boishardy, et ils échangèrent tous deux un regard rapide.
    – Le ciel est pour nous ! murmura le marin.
    Boishardy affecta de s’occuper de ce qui se passait.
    – Qu’est-ce que ces patriotes-là ? demanda-t-il à Brutus en voyant des hommes porteurs de grands paniers couverts traverser la place.
    – Ce sont les nippes des mariés que l’on emporte, vu qu’ils n’en ont plus besoin, répondit Brutus ; ça va chez Carrier.
    Le cortège était arrivé sur le quai, et l’on embarquait les prisonniers. Lorsque tous furent entassés à fond de cale, on cloua l’entrée de l’escalier, puis le bateau fut poussé au large et gagna lentement le milieu du fleuve. Des sans-culottes, porteurs de torches, l’accompagnaient dans une embarcation plus petite. L’obscurité ne permettait pas de distinguer très bien.
    Tout à coup des coups de hache retentirent ; un silence se fit dans la foule ; puis un cri, un immense cri partit du milieu de la Loire, et le bateau s’abîma dans les flots. Les

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