La Marquise de Pompadour
pénétrait de son côté dans le petit hôtel Régence de M me Poisson.
L’hôtel du marquis était un véritable ministère. C’est là que se brassaient les solliciteurs qui se présentaient tous les jours au grand portail que défendait un suisse majestueux et rogue…
La cour était sillonnée par les commis et sous-commis qui allaient d’un bâtiment à l’autre avec des paperasses sous les bras.
Tous ces gens étaient silencieux et glissaient comme des ombres.
Mais cela faisait des allés et venues que Damiens remarqua tout aussitôt : une sorte de satisfaction parut un instant sur son visage comme s’il eût peut-être espéré que, parmi tous ces solliciteurs et tous ces commis, il passerait inaperçu…
Mais à peine eut-il franchi le portail que le suisse l’interpella :
– Eh ! l’ami… où vas-tu ?
Ce suisse tutoyait les pauvres hères : le tutoiement est la forme de l’affection ou du mépris…
Sans attendre la réponse, il ajouta :
– Si tu as une lettre, remets-la au concierge.
François Damiens hocha la tête en signe d’approbation et se dirigea à gauche vers une grande porte vitrée que le suisse venait de lui désigner. Une homme, assis à une table dans une pièce sévèrement ornée, écrivait sur un registre.
– Que voulez-vous ? demanda-t-il sans lever la tête.
– Monsieur, fit Damiens de cette voix sourde, étrangement timide et parfois métallique et sonore qui lui était particulière, monsieur, je voudrais… parler à M. le ministre…
– Donnez votre audience.
– Mon audience ?
– Oui, dit le concierge en se redressant ; votre lettre d’audience… Vous n’en avez pas ?… Ah çà, vous croyez donc qu’on entre chez M. le marquis d’Argenson comme au cabaret ?
– Excusez, monsieur, dit Damiens avec une grande douceur ; excusez, je ne savais pas…
– Eh bien, écrivez alors ! Dans un mois ou deux au plus tard, vous serez convoqué, si toutefois M. le directeur du service des audiences a obtenu de bons renseignements sur vous…
Une vive contrariété se peignit sur les traits de Damiens. Son front se plissa. Un profond soupir gonfla sa poitrine. Il esquissa un pas de retraite.
– Pauvre diable ! murmura le concierge. Vous arrivez sans doute du fond de votre province ?
– De Béthune, monsieur.
– Voyons… Comment vous appelez-vous ?
– Jean Picard, répondit Damiens sans hésiter.
– Et vous cherchez un emploi, hein ? Je connais ça ! Combien j’en ai vu arriver de hères comme vous attirés à Paris par l’espoir, et puis… qui finissaient dans quelque prison. Tenez… votre visage pâle et triste me revient… je vais vous donner un bon conseil : retournez-vous-en dans votre village.
Damiens secoua la tête.
– Merci, monsieur, dit-il de sa voix basse. Vous me plaignez… merci ! Car la chose m’est arrivée rarement. Quant à m’en aller, c’est impossible… j’ai quelque chose à faire à Paris.
– Quoi donc ?
– Je veux remettre un placet à Sa Majesté, dit Damiens dont l’accent, cette fois, eut une étrange intonation.
– Ah ! ah ! Ceci est bien différent. Vous l’avez là, votre placet ?
Damiens entr’ouvrit sa veste et montra le coin d’une large enveloppe.
– Là ! dit-il en crispant sa main près de l’enveloppe.
Et cette main ayant touché un objet long et pointu, dissimulé au fond de la poche, il répéta :
– Là !… Je voulais prier M. le ministre de se charger de mon placet, ajouta-t-il froidement.
– Que ne le disiez-vous ! s’écria le concierge avec un haussement d’épaules d’une indulgente pitié. Il est plus facile de parler au roi qu’au ministre. Tous les jours, Sa Majesté reçoit des placets… Tenez… allez vous poster sous le portail. Quand vous verrez le roi descendre de son carrosse, mettez un genou à terre et tendez votre enveloppe. Vous êtes sûr que quelqu’un la prendra… Quant à vous affirmer que Sa Majesté lira votre placet… dame… c’est autre chose !
– Vous dites que le roi va venir ? s’écria sourdement Damiens.
– J’en suis sûr.
– Ici ?…
– Ici !…
– Ah ! murmura Damiens, on ne m’avait donc pas trompé !
– Vous dites ?…
– Je dis que c’est une bien grande chance qu’il soit plus facile d’aborder Sa Majesté que ses ministres !
– Pauvre diable ! répéta le concierge. Allez, allez… faites comme je vous ai dit… et vous m’en donnerez
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