La Marquise de Pompadour
lendemain…
Enfouie au fond d’un fauteuil, la tête cachée dans les deux mains, elle songeait. Son âme combative, son esprit audacieux lui faisaient envisager l’une après l’autre toutes les formes possibles d’une révolte.
Peut-être finit-elle par trouver une solution…
Car soudain elle releva la tête, une lueur d’espoir dans les yeux…
– Oui, murmura-t-elle si bas, si bas qu’à peine pouvait-elle s’entendre ; oui, pourquoi ne pas opposer la force à la force ?… Puisque cet homme est une menace de mort, pourquoi ne pas opposer la force à la force ?… Puisque cet homme est une menace de mort, pourquoi ne pas le menacer à son tour ?… Pourquoi un homme dévoué, loyal, ne se dresserait-il pas à son tour devant lui pour lui crier, l’épée à la main : « D’Etioles, ce que tu veux faire est infâme ! D’Etioles, tu vas détruire devant moi les preuves de ton abominable calomnie, ou sinon, c’est l’épée qui décidera ! Nous nous battrons jusqu’à ce que l’un de nous deux tombe mort !… »
Elle comprima son front à deux mains comme pour en faire jaillir l’idée encore confuse. Soudain, elle poussa un cri de joie :
– Sauvée !… Oh ! ce jeune homme me sauvera !… Il sauvera mon père !… Ce chevalier… comment ?… Ah ! oui… le chevalier d’Assas… J’ai lu dans son regard de flamme un tel dévouement… oui, oui… voilà le sauveur !… oh ! pourvu que je me souvienne de l’adresse qu’il a donnée au comte du Barry !… Ah ! je me souviendrai !… Dussé-je pétrir mon cerveau à deux mains comme je fais de mon front !… ah ! j’y suis !… Sauvée !… Il a dit : aux
Trois Dauphins,
rue Saint-Honoré !…
Elle bondit vers un petit meuble de Chine qui lui servait de secrétaire, saisit une feuille et, d’inspiration, en toute hâte, sans se donner le temps de réfléchir, elle écrivit :
« Je ne vous connais pas, et vous ne me connaissez pas non plus. Mais, hier, dans la clairière de l’Ermitage, vous m’êtes apparu comme le type achevé des paladins de jadis qui allaient par le monde à la défense des opprimés, faisant la guerre aux méchants… J’ai en vous une confiance que je ne m’explique pas, mais qui est illimitée !… Etes-vous celui que je crois ? Ai-je bien lu sur votre visage et dans votre attitude que peut-être je ne vous serais pas indifférente ?… Alors, venez ! accourez sans perdre un instant rue des Bons-Enfants… Venez ! venez, quelle que soit l’heure de ce jour ou de cette nuit où vous recevrez ce mot !… mais venez avant demain… Venez sans perdre une seconde… Demain, il sera trop tard !… Si je vous ai inspiré la moindre sympathie, s’il y a dans votre cœur un peu de pitié pour une pauvre jeune fille placée en face du plus effroyable malheur, si vous voulez écarter de moi l’horrible catastrophe suspendue sur ma tête, venez !… Je vous attends comme le seul homme capable de me sauver ! »
Elle signa :
« La jeune fille en rose de la clairière de l’Ermitage. »
En post-scriptum, elle ajouta :
« Rue des Bons-Enfants, en face de l’hôtel d’Argenson, demandez M lle Jeanne-Antoinette Poisson. Venez vite ! oh ! venez !… »
Sans se relire, elle plaça le papier parfumé dans une des enveloppes de satin dont elle avait coutume de se servir, écrivit la suscription et cacheta avec de la cire.
– Qui va porter la lettre ? songea-t-elle. Un domestique ?… Ah ! non !… Louise ?… Peut-être !… Non, Louise est trop faible… La Poisson saurait tout… et je me défie de la Poisson… elle joue en tout ceci un rôle que je ne connais pas… Oh ! à qui me confier !…
A ce moment, comme cinq heures sonnaient à une magnifique pendule en porcelaine de Saxe placée sur la cheminée, on heurta légèrement à la porte, et sans attendre la réponse on entra.
– Ne te dérange pas, fillette, fit une voix d’homme éraillée et un peu rauque, ce n’est que moi… moi, papa Poisson, le chéri de sa fifille !…
– Cet ivrogne ! murmura Jeanne en tressaillant. Oui !… Pourquoi pas ?… Pour un peu d’argent, il fait ce que je veux… oui, voilà le messager… il portera la lettre… et demain, il ne se souviendra même plus…
Celui qui venait d’entrer était un homme entre deux âges, corpulent, court sur jambes, la face rougeaude, les yeux clignotants, la lèvre lippue ; il prisait à chaque instant ; sa figure,
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