La Marquise de Pompadour
geôlier fit un signe à M. Jacques, lequel, ayant salué le gouverneur avec toute la gaucherie dont il fut capable, sortit du cabinet.
– Un bien digne homme, ce M. Jacques ! dit alors du Barry en se levant. Mon cher gouverneur, mille remerciements pour votre amabilité…
– Mais pas du tout… puisque vous m’apportiez l’ordre !… Vous n’attendez pas votre M. Jacques ?
– Ma foi, non… j’ai hâte de respirer l’air du dehors…
– Je comprends cela ! fit le gouverneur avec un soupir.
Du Barry échangea les salutations en usage et se retira.
Quand il fut dehors, il donna l’ordre au postillon de son carrosse d’attendre où il se trouvait, et, se rapprochant de la place Royale, entra dans la petite rue du Foin, puis, non sans s’assurer qu’on ne le surveillait pas, pénétra rapidement dans une petite maison basse de modeste apparence.
Cette maison, c’était celle de M. Jacques !
Celui-ci avait suivi le geôlier, – le porte-clefs n° 9, comme disait le gouverneur. – Le geôlier descendit l’escalier, traversa cette cour étroite et sombre qui avait si vivement impressionné M. Jacques, longea un humide couloir, monta un escalier où, d’étage en étage, on rencontrait des sentinelles à qui il fallait donner le mot de passe, entra dans un long corridor, et s’arrêta enfin devant une solide porte dont il s’apprêta à tirer les verrous.
A ce moment, M. Jacques le toucha au bras :
– Pardon, mon ami, un mot, s’il vous plaît.
– Dix, si vous voulez !
– Savez-vous comment s’appelle le prisonnier qui est là ?
– Le 214 ?…
– Oui ! Le 214 !…
– Vous ne savez pas son nom ?
– Je me suis chargé de lui faire une petite commission… on m’a dit son nom… mais j’avoue que je l’ai oublié…
– Eh bien, il s’appelle le chevalier d’Assas !…
Au moment où, devant Saint-Germain-l’Auxerrois, le chevalier avait été arrêté, son premier mouvement tout instinctif avait été de tirer son épée et de se défendre.
Mais tout aussitôt le découragement s’empara de lui.
– A quoi bon être libre, maintenant ! A quoi bon vivre ! Puisqu’elle en épouse un autre ! Puisqu’elle ne m’aime pas !… Disparaissons donc du monde des vivants !
Et, sans la moindre résistance, il entra dans le lourd véhicule vers lequel on le poussait et dont on ferma à clef les mantelets. Vingt minutes après cette arrestation qui n’avait causé aucun bruit, aucun scandale, le chevalier d’Assas entrait à la Bastille, suivait les soldats et les geôliers sans savoir où on le conduisait, marchant comme en rêve, et était enfin enfermé à triple verrou dans la chambre n° 214.
Ce mot « chambre » était officiel, par opposition avec les cachots qui se trouvaient dans les sous-sols. Mais qu’il n’aille pas évoquer l’image de quelque pièce claire et propre, avec son lit, ses meubles…
La chambre 214 n’était ni plus ni moins qu’un cachot un peu moins sombre que les cachots souterrains.
Une étroite couchette en bois, vissée au mur, avec une simple couverture pour toute literie, un escabeau à trois pieds, une planchette supportant un pain, une cruche pleine d’eau, voilà quel était l’ameublement de cette pièce.
La muraille avait huit pieds d’épaisseur. Une double rangée d’épais barreaux de fer défiait toute tentative d’évasion. L’air et la lumière ne pénétraient là qu’avec parcimonie.
Le premier jour, le chevalier ne prêta aucune attention à ces détails. Il ne vit ni l’horreur des voûtes qui surplombaient, ni la moisissure des murs, ni l’épaisseur des barreaux… il ne mangea pas… il se jeta sur l’étroite couchette, ferma les yeux, se croisa les bras sur la poitrine et se mit à songer à elle !…
Tout son bonheur était là, en effet !
A cet âge de charme et d’illusion, au printemps de la vie, lorsque l’homme à sa vingtième année ouvre ses ailes vers cet abîme de l’existence qui lui paraît tout azur et qui bientôt lui semblera peut-être bien noir, à l’âge du chevalier, l’amour est la grande, l’unique pensée du cœur et de l’esprit.
Que peuvent être les catastrophes auprès de cette douleur : ne pas être aimé de celle qu’on aime !
Le chevalier d’Assas aimait aussi profondément que s’il eût connu depuis des années « l’objet de sa flamme », comme on disait alors dans ce style précieux qui paraît un peu ridicule
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