La Marquise de Pompadour
je suis ne ternira pas la pureté de ton front de son souffle de damné !…
Alors, comme la main de Jeanne pendait légèrement hors du lit, il voulut baiser cette main fine, aux doigts d’albâtre…
Mais, cette fois encore, il se retint…
Et ce fut sur le bas de la robe, sur la longue traîne qui s’écroulait jusque sur le tapis, ce fut sur la soie blanche et virginale qu’il déposa le baiser si humble de son amour, et qu’il laissa tomber une larme…
Alors il se releva, et, à reculons, sans bruit, il sortit de la chambre, ferma la porte, et reprit sa place d’immobile et de pensive statue dans le boudoir.
Vers cinq heures du matin, Jeanne se réveilla. Elle se vit sur le lit, tout habillée. La pensée lui vint alors qu’elle avait dû s’évanouir, et qu’Henri d’Etioles, touché peut-être de quelque tardif repentir, l’avait laissée seule…
Lasse et la tête lourde, frissonnante, elle se déshabilla et se mit au lit.
Quant à Henri d’Etioles, au moment ou il avait vu Damiens entrer dans la chambre nuptiale, il avait remis en place le tableau et s’était, souriant d’un sinistre sourire, retiré dans son cabinet où il avait passé le reste de la nuit à écrire plusieurs lettres.
A sept heures seulement, il revint au boudoir où il vit Damiens immobile et comme pétrifié dans ses pensées.
D’Etioles le regarda fixement.
– Personne n’est venu ? demanda-t-il.
– Non, monsieur, personne ! répondit Damiens.
– Et… dites-moi, mon brave, la pensée… la curiosité… ne vous est pas venue…
– De quoi, monsieur ? demanda Damiens en frémissant.
– Mais d’entrer là ! répondit cyniquement d’Etioles en désignant la chambre à coucher.
– Non, monsieur ! dit Damiens sans une hésitation.
– Bon ! songea d’Etioles. Il ment, puisque je l’ai vu entrer !… Donc !… allons… tout va bien !…
Il passa rapidement dans la chambre, vit Jeanne couchée, sourit imperceptiblement, et, s’inclinant :
– Ma chère Jeanne, dit-il, l’excès de mon amour m’a cette nuit emporté un peu loin… j’ai… peut-être abusé de mes droits d’époux… je vous en demande pardon, Jeanne. A partir d’aujourd’hui, vous pouvez vous rassurer… je n’entrerai plus jamais ici… que s’il vous convient de m’y appeler !… Et quant à mon amour… eh bien, je souffrirai en silence, voilà tout !
– Abusé ! balbutia Jeanne avec épouvante quand elle se retrouva seule. Abusé de ses droits d’époux !… Oh ! qu’a donc voulu dire ce monstre !…
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Chapitre 14 LA BASTILLE
H uit jours après les événements que nous venons de raconter. C’est une belle et radieuse journée. Un dimanche. Les rues de Paris sont pleines de promeneurs en habit de fête. La grande ville a cet aspect de gaieté bruyante qu’elle prend à de certains jours où le soleil, du haut du ciel sans nuages, verse à flots la joie et la vie.
Rue Saint-Antoine, les passants étaient plus nombreux que partout ailleurs. En effet, la rue Saint-Antoine, c’était la grande artère qui conduisait à la place Royale. Et la place Royale, aujourd’hui pétrifiée dans le souvenir du passé, silencieuse comme un impassible témoin de l’histoire, la place Royale que les enfants – ces moineaux de Paris – et les moineaux – ces gavroches de la nature – animent seuls de leurs piaillements, la place Royale était alors, disons-nous, le rendez-vous à la mode de toute les élégances parisiennes. Jeunes marquises en falbalas, la main haut gantée appuyée sur la canne enrubannée ; jeunes seigneurs, le tricorne sous le bras, l’épée au côté ; roués et courtisans, femmes galantes et dames du monde y coquetaient à qui mieux, et, suivant le vieux mot français si joli, si expressif, y
fleuretaient
en minaudant et en faisant mille grâces. (Le mot a été hideusement tronqué et, sous prétexte de nouveauté, on en a fait, de l’anglais :
flirter.)
Dans cette foule bariolée, enrubannée, paniers à fleurettes, chapeaux de paille à grands pompons, cheveux poudrés ; dans ces groupes qui se saluaient avec cette exquise afféterie, comme on se saluait dans les menuets ; parmi ces promeneuses et promeneurs qui erraient sous les quinconces de la place Royale, il n’était bruit que de la fête que messieurs de l’Hôtel de Ville devaient offrir au roi.
Et la grande joie, dans ce monde joli, pailleté, léger, c’était de pouvoir s’aborder en
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