La Marquise de Pompadour
à notre époque de chiffres, mais qui, sous sa préciosité même, était au fond si juste et si joli…
Il ne connaissait Jeanne que depuis quelques heures, il savait à peine son nom depuis la matinée même ; et l’image adorée était burinée dans son imagination comme une de ces eaux-fortes, ineffaçable, et le nom chéri venait à ses lèvres comme un de ces chants dont on ne peut plus se défaire.
Le chevalier était de ces âmes généreuses qui se donnent une fois dans un grand coup de passion et qui ne se reprennent plus. Un autre se fut dit :
– Puisqu’elle se marie à un autre, puisqu’elle ne m’aime pas, je vais arracher cet amour de mon cœur, faire l’impossible pour n’y plus penser !
Lui constata simplement que toute sa vie il aimerait la jeune fille en rose de la clairière de l’Ermitage. Il comprit que c’était fini, que plus rien au monde n’existait qu’elle dans sa pensée, et que cet amour était inguérissable.
Seulement, il comprit en même temps qu’il en mourrait.
Où ? Quand ? Comment ? Il ne chercha pas à se le demander.
Il en mourrait, voilà tout !…
Cette première journée de captivité et celle du lendemain se passèrent donc dans une prostration complète.
Mais si le chevalier était à l’âge des passions absolues, il était aussi à l’âge où la vie afflue au cerveau, ardente, impérieuse. De plus, son tempérament combatif devait rapidement le pousser à une sorte de révolte.
Il commença par se dire que puisqu’il ne pouvait vivre sans Jeanne, puisqu’il devait mourir, la prison était une mort comme une autre. La Bastille tuait vite.
Et, au besoin, il aiderait à la prison. Un jour, à la première occasion, il menacerait le gouverneur. Alors on le descendrait dans l’un de ces cachots où l’on récoltait le salpêtre à la pelle, où l’on devenait poitrinaire en trois mois, tombes affreuses qui absorbaient des vivants et ne rendaient que des cadavres…
Puis il sentit monter en lui comme une furieuse colère.
Il se dit que cette mort serait indigne de lui… d’elle !
Il voulait mourir, mais au grand jour, en pleine liberté… mourir peut-être sous ses yeux, à elle !…
Alors, il se mit à tourner comme un fauve dans sa prison, ébranla les barreaux, secoua la porte, se démena, cria, rugit, le tout en pure perte…
Et alors aussi se posa dans son esprit cette question à laquelle il n’y avait pas de réponse possible :
– Pourquoi suis-je à la Bastille ? Pourquoi m’a-t-on arrêté ?… Qu’ai-je fait ?…
Il interrogea le geôlier qui lui apportait à manger : et le geôlier lui répondit qu’il lui était défendu de parler aux prisonniers. Il demanda à voir le gouverneur, et il lui fut dit que le gouverneur avait bien autre chose à faire que de se rendre aux appels des pensionnaires de la Bastille.
A mesure que le chevalier se rendait mieux compte de sa situation, à mesure qu’il comprenait qu’il ne sortirait jamais de cette affreuse prison, son désir de liberté devenait plus frénétique.
Il eut des accès de colère furieuse, il eut des crises de désespoir.
Et il en vint à se dire :
– Qu’elle ne m’aime pas, soit !… Je ne demande pas qu’elle m’aime ! Mais ne plus la voir ! Jamais ! Jamais ! Oh ! ceci est atroce !… Je veux la revoir, ne fût-ce qu’une seule fois, ne fût-ce que pour lui dire que je meure d’amour et que je meure en l’adorant !… Oui, oh ! oui, la revoir… à tout prix !…
Alors, il se mit à chercher un moyen d’évasion.
Mais il dut se rendre à l’évidence : à moins d’un prodigieux hasard, il lui fallait compter au moins plusieurs années de travail assidu avant de pouvoir réaliser un projet offrant une chance de réussite…
Vivre jusque-là sans la revoir, c’était impossible !…
Dès lors, une mortelle angoisse s’empara de lui. Et comprenant qu’à creuser toujours cette même idée, à se repaître du désespoir de ne plus voir celle qu’il adorait, il allait devenir fou, il prit la résolution de se tuer…
Comme il venait de s’étendre sur sa couchette pour chercher un moyen de suicide prompt et sûr, la porte de son cachot s’ouvrit brusquement ; un homme qu’il ne connaissait pas entra, et repoussa derrière lui la porte tandis que le geôlier demeurait dehors…
Cet homme s’approcha du chevalier qui, hagard, haletant, s’était soulevé sur sa couchette.
Il s’assit sur l’escabeau, sourit
Weitere Kostenlose Bücher