La Marquise de Pompadour
disant :
– C’est fait ! j’en suis ! j’ai mon invitation !
– Comment, chère marquise, vous n’y serez pas ?
– On dit des merveilles de la décoration…
– On parle d’un ballet où le roi figurera en personne. Cela s’appelle le
Ballet
de
la clairière de l’Ermitage,
et c’est plein de chasseurs, de dianes chasseresses et de nymphes…
– On dit aussi que le ballet s’appellera :
La Fée de la clairière, ou le Cerf gracié…
Dans la rue Saint-Antoine, les promeneurs, plus serrés que sur la place Royale, s’occupaient simplement du pain qui renchérissait dans des proportions effrayantes, et des dernières levées d’impôts qui venaient d’être proclamées au tambour.
C’est que, là, c’étaient des gens du peuple qui passaient leur dimanche au bon soleil, ce grand et bon père de l’humanité qui verse à tous, ses clairs regards, pauvres et riches.
Et, comme nous l’avons dit, le soleil était ce jour-là si rayonnant que la gaîté l’emportait encore sur les lourdes inquiétudes du peuple.
Tout à coup, dans cette foule, des cris s’élevèrent.
Un carrosse lancé à fond de train accourait au fond de la rue, se dirigeant vers la Bastille au galop de ses deux chevaux, et menaçant de renverser quiconque ne se rangeait pas assez vite.
On se bousculait, on s’écartait en toute hâte, des grondements contenus s’élevaient, mais nul n’osait élever la voix.
Le carrosse passait comme un tonnerre.
Plusieurs personnes, cependant, avaient reconnu le personnage qui avait si peu de souci de la vie des gens.
– C’est ce méchant roué… ce flagorneur du roi…
– Le comte du Barry !…
– Va donc ! hé ! comte de six liards ! cria un gamin.
Et aussitôt la colère qui commençait à gronder, cette colère qui, une cinquantaine d’années plus tard, devait si terriblement éclater, se fondait en une gaîté railleuse.
– Ohé ! criait l’un. Où court-il donc si vite ?
– Pardi ! Il va à la Bastille !
– Qu’il y reste !…
Bien entendu, on ne s’esclaffait ainsi que lorsque le carrosse était déjà bien loin…
C’était le comte du Barry, en effet. Et c’était bien à la Bastille qu’il se rendait !…
Il était assis dans le fond de sa voiture, sombre et dédaigneux comme à son habitude. Devant lui, sur la banquette, se tenait modestement un homme vêtu comme un bourgeois qui eût tenu à ne pas trop se faire remarquer.
Cet homme tenait ses yeux baissés, gardait les coudes au corps, rentrait les jambes sous les genoux ; bref, il semblait prendre à tâche de se faire aussi petit que possible, tandis que du Barry, au contraire, semblait, du haut de son jabot à dentelles, crier au simple piéton :
– Eh bien, oui, c’est moi ! Malheur à qui se trouve sur ma route !…
Le carrosse, toutefois, s’arrêta sans avoir causé d’autre accident que quelques bousculades et quelques contusions, devant la porte Saint-Antoine.
Les deux hommes mirent pied à terre, et, franchissant le pont-levis, entrèrent dans la haute et noire forteresse qui semblait menacer Paris de ce même air de morgue et d’insolence dont le comte du Barry avait menacé les promeneurs de la rue.
L’officier de garde au poste, reconnaissant un des familiers du roi, se précipita au-devant du comte, le chapeau à la main.
– Faites-moi conduire au gouverneur, dit du Barry.
– Je vais avoir l’honneur de vous conduire moi-même, répondit l’officier avec cette suprême politesse des gens de bon ton d’alors, quand toutefois ils avaient ce bon ton !
Du Barry acquiesça d’un signe de tête et se mit à marcher derrière l’officier.
Son silencieux et modeste compagnon l’escortait…
Mais tandis que le comte ne prêtait aucune attention à ce qui l’entourait, cet homme ne put réprimer un frisson en pénétrant dans une cour étroite, humide, sans air ni lumière, et en entendant la porte se refermer lourdement derrière lui.
Et si du Barry avait pu pénétrer la pensée de son compagnon, voici ce qu’il eût entendu au fond de cette pensée :
– Diable !… mais c’est une tombe… une triste tombe… que cette forteresse ! Dire que si on savait… si un mot maladroit échappait à ce du Barry… Oh ! je frémis à l’idée que je serais enfermé là pour toujours… à moins qu’une bonne corde au cou…
Il n’acheva pas.
L’aspect intérieur de la Bastille était en effet terrible. Il régnait là
Weitere Kostenlose Bücher