La Marquise de Pompadour
d’Etioles !…
– C’est vrai… M me d’Etioles est une véritable reine par la beauté, l’esprit, l’éducation…
– Je m’en flatte, dit Noé.
– C’est moi qui lui ai enseigné la poésie ! ajouta Crébillon. En ce sens, elle est un peu ma fille à moi aussi ! Et vous savez,
talis pater, talis filia :
c’est vous dire qu’elle tourne le vers à ravir.
– Et musicienne, monsieur !
– Et peintre ! graveur ! Elle dessine, elle joue du clavecin, c’est une artiste !
– Une fée ! dit Poisson.
– Une muse ! conclut Crébillon.
Le chevalier demeurait comme atterré. Les deux amis trinquèrent, vidèrent leurs verres, et ils préparaient une nouvelle avalanche d’éloges, lorsque d’Assas reprit :
– Monsieur, je vous en supplie, rappelez bien vos souvenirs. Puisque vous êtes le père de… madame d’Etioles, vous devez tenir à ce qu’elle soit heureuse…
– Je vous garantis qu’elle l’est !
– Soit ! Mais le jour où elle vous a chargé de porter cette lettre, ne s’était-il rien passé d’anormal… d’étrange… de dangereux pour elle ?
– Rien de rien !
– Elle ne vous a point paru triste, inquiète, agitée ?…
– Elle ?… Jamais je ne l’ai vue si gaie. La preuve, c’est qu’elle m’a donné douze louis rien que pour me dépêcher, ne pas m’arrêter en route. Et je vous assure que j’ai bien gagné mes douze louis. A ta santé, Crébillon ! A la vôtre, monsieur le chevalier d’Assas !
– Rien ! Rien ! murmura avec angoisse le chevalier. Je ne tirerai rien de ces ivrognes !
Tout à coup, il se frappa le front. Un éclair illumina son regard.
Il saisit la main de Noé Poisson et dit :
– Monsieur, voulez-vous rendre à votre fille un grand service ?
– Parbleu !…
– Et moi donc ! fit Crébillon.
– Eh bien, en ce cas, conduisez-moi près d’elle. Introduisez-moi dans l’hôtel qu’elle habite. Faites que je puisse l’entretenir une minute sans témoins… Ah ! monsieur, je vous jure que le souci de son bonheur me guide seul… et que nulle pensée, dans votre susceptibilité paternelle…
– Mais tout cela est facile ! interrompit Noé Poisson avec un calme qui désarçonna d’Assas.
– Ainsi, continua le chevalier, vous acceptez ?…
– A l’instant même !…
– Messieurs, veuillez m’attendre dans la salle commune. Le temps de m’habiller, et je vous rejoins !…
« Quel père étrange, songea le chevalier quand il fut seul et tout en s’apprêtant fébrilement. Tout est donc mystère chez cette fille extraordinaire !… »
D’Assas employait et pouvait employer sans scrupule le mot « fille », qui n’avait pas à cette époque le sens oblitéré qu’il a fini par prendre de nos jours. De même, quand un galant homme disait alors « ma maîtresse » en parlant d’une femme, cela signifiait simplement qu’elle était la dame de ses pensées, qu’il était aux petits soins pour elle, sans que cela pût éveiller l’idée de la faute.
Le chevalier retrouva dans la salle commune Crébillon et Noé Poisson qui achevaient une dernière bouteille. Tous trois se mirent en route et gagnèrent le quai des Augustins où se trouvait l’hôtel d’Etioles.
Ils furent introduits dans un petit salon qui était une merveille de grâce et de richesse.
Poisson demanda sa femme.
Madame était sortie… Héloïse était en consultation chez M me Lebon, la tireuse de cartes.
– Tant mieux ! grommela Noé qui, aussitôt, se fit conduire auprès de M me d’Etioles, laissant là Crébillon, qui s’endormit sur un fauteuil, et le chevalier tout palpitant…
Au bout de quelques minutes, un laquais galonné vint chercher le chevalier et le conduisit à travers une série d’escaliers et de pièces ; – les escaliers étaient ornés d’objets d’art, statues, lampadaires de bronze, rampes en fer doré, tapis épais sur le marbre des marches, – les pièces étaient des merveilles de richesse, et chacune d’elles représentait une fortune.
Le pauvre chevalier, quelle que fût sa préoccupation, fut tout ébloui.
Plus que jamais il comprit la distance qui le séparait de celle qu’il osait aimer.
La jolie petite fille de la clairière de l’Ermitage disparut de son imagination, qui se représenta dès lors la grande dame que devait être Jeanne d’Etioles.
Il trembla. Tel est l’effet que produit la vue de l’opulence même sur les âmes
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