La Marquise de Pompadour
lorsqu’il s’était mis en selle pour entreprendre ce long voyage, avec un congé régulier et deux mois de solde dans la poche !
Il ne rêvait alors que batailles, avancement et gloire, tout ce qui peut hanter la tête d’un jeune officier de fortune, qui ne peut guère compter que sur sa vaillance et sa bonne mine pour faire son chemin.
Et il avait suffi de la rencontre, dans une clairière empourprée par l’automne, d’une petite fille qui l’avait regardé de ses yeux doux, railleurs et profonds, pour donner à sa vie une orientation toute nouvelle !
Voilà à quoi songeait le chevalier d’Assas en remontant dans sa chambre, le fameux 14 d’où on avait une si belle vue sur les jardins du couvent des Jacobins.
Comme il l’avait annoncé, le chevalier prit aussitôt ses dispositions pour dormir une heure ou deux dans un fauteuil. Habitué aux nuits de corps de garde, aux alertes et à la dure, il ne doutait pas que ce court sommeil ne réparât en partie ses forces épuisées par la mortelle angoisse de la prison.
Il venait donc de s’installer de son mieux dans le fauteuil susdit et déjà il fermait les yeux, lorsqu’on frappa légèrement à la porte.
– Entrez, dit le chevalier qui, soit insouciance ou habitude, ne s’enfermait jamais à clef…
L’hôtesse, la belle Claudine, parut aussitôt, tenant une lettre à la main. Mais cette lettre n’était au fond qu’un prétexte pour elle ; ce qu’elle voulait, surtout, c’était revoir le joli chevalier, s’assurer qu’il ne manquait de rien, soupirer, le regarder de ses yeux langoureux, enfin se livrer à tout ce manège à demi amoureux qui donnait satisfaction à son âme sentimentale et très bourgeoise.
– Voici une lettre pour vous, monsieur le chevalier, dit-elle.
– Pour moi ! s’écria d’Assas très étonné ; car, à part du Barry et d’Etioles, il ne connaissait personne à Paris qui sût déjà son adresse.
– Oui, reprit Claudine, elle vous a été apportée le jour même de votre départ, juste au moment où vous sortiez, pour ne plus revenir qu’aujourd’hui… J’ai même couru après vous dans la rue… mais vous étiez loin déjà… vous couriez si vite… à quelque rendez-vous… d’amour, sans doute…
En même temps, elle tendait la lettre au chevalier qui l’ouvrit machinalement.
Mais à peine y eut-il jeté un coup d’œil qu’il se dressa tout debout, devint très pâle et courut à la fenêtre pour la relire avec plus d’attention.
– Et vous dites que ce billet m’est parvenu au moment même où je sortais ?
– Oui, monsieur ! Ah ! mon Dieu ! serait-ce quelque malheur !…
– Et vous dites que vous avez couru après moi ?…
– En vous appelant ! Mais vous ne m’entendiez pas sans doute !…
– Fatalité ! murmura le chevalier.
Il demeura un moment accablé. Cette lettre, c’était celle que Jeanne avait fait porter par Noé Poisson, et où elle appelait le chevalier à son secours !…
Dix jours s’étaient écoulés depuis !…
Le chevalier chancelant alla retomber dans son fauteuil. La belle Claudine l’examinait avec un intérêt facile à comprendre et, oubliant ce commencement d’amour qui germait dans son cœur, cherchait, dans un sentiment presque maternel, comment elle pourrait se rendre utile.
– Chère madame Claude, fit tout à coup le chevalier, qui a apporté cette lettre ?
– Ma foi, monsieur, répondit Claudine, en ceci du moins, vous jouez de bonheur. L’homme qui vous apportait ce billet, et que vous avez du reste heurté en sortant, a voulu goûter à notre vin et le trouva fort bon, en sorte que, depuis, il revient tous les jours avec un de ses amis, et qu’ils vident à eux deux force flacons, en sorte que, enfin, cet homme est en ce moment en bas, en train de boire…
– J’y cours, dit le chevalier. Ou plutôt non… priez-le de monter… et puis, chère madame Claude, je compterai sur vous pour ne pas être dérangé dans l’entretien que je veux avoir avec cet homme… vous êtes si aimable et si intelligente que je ne doute pas…
Claudine, charmée, s’élança sans attendre la fin de la phrase et, quelques minutes plus tard, elle introduisait non pas un homme, mais deux…
C’était Noé Poisson et son inséparable ami le poète Crébillon.
Le chevalier fit un signe que comprit l’hôtesse, car elle se pencha sur la rampe et cria :
– Deux flacons d’anjou et deux bouteilles de champagne pour
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